VIH

SIDA, un quart de siècle après

Publié dans research*eu, n°59, Dossier spécial épidémies, Juin 2009 - Read the English version 

Triste anniversaire. Il y a 25 ans, des chercheurs isolaient, pour la première fois, le virus à l'origine du SIDA. Cette découverte marqua le début d'un incroyable effort de recherche qui est loin d'avoir abouti. Françoise Barré-Sinoussi et Luc Montagnier, chercheurs émérites récompensés par le prix Nobel de médecine 2008 pour leurs travaux sur le VIH, retracent l'histoire de cette pandémie qu'aucun vaccin ne permet encore d'enrayer.



Une des premières photographies du virus VIH-1 (HIV-1) découvert   par l’équipe de Luc Montagnier en 1983. Image colorisée – grossissement x   100 000. © Institut Pasteur
Une des premières photographies du virus VIH-1 (HIV-1) découvert par l’équipe de Luc Montagnier en 1983. Image colorisée – grossissement x 100 000. © Institut Pasteur
Vue au microscope électronique de quatre particules de rétrovirus   du SIDA. En bas à droite: particule de VIH bourgeonnant à la surface   d’un lymphocyte T4 infecté. Au centre: particule de VIH immature qui   s’est détachée de la cellule infectée. En haut à gauche : particule   virale mature, prête à infecter une nouvelle cellule, où l’on distingue   le cône du noyau. © CNRS Photothèque/Charles Dauguet
Vue au microscope électronique de quatre particules de rétrovirus du SIDA. En bas à droite: particule de VIH bourgeonnant à la surface d’un lymphocyte T4 infecté. Au centre: particule de VIH immature qui s’est détachée de la cellule infectée. En haut à gauche : particule virale mature, prête à infecter une nouvelle cellule, où l’on distingue le cône du noyau. © CNRS Photothèque/Charles Dauguet

États-Unis, 1981. Les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) relèvent une fréquence anormalement élevée de personnes atteintes de sarcomes de Kaposi - un type de cancer cutané - et de pneumonies à Pneumocystis carinii.
Deux maladies particulièrement rares, connues pour affecter des patients très affaiblis.
Dans un premier temps, le phénomène est désigné sous le nom de «gay syndrome», car il semble concerner principalement des patients homosexuels. Mais très vite, les cas se multiplient tant chez les toxicomanes que chez les hémophiles et les hétérosexuels. Dès 1982, la maladie est désignée sous l'acronyme de SIDA - Syndrome d'immunodéficience acquise. À cette époque, on soupçonne un agent infectieux transmissible par le sang et par voie sexuelle d'être à son origine, sans pourtant que des éléments solides n'étayent cette théorie.
Il faudra encore attendre un an pour identifier le coupable: le VIH - Virus de l'immunodéficience humaine (1). Deux équipes, l'une française, établie au sein de l'Institut Pasteur l'autre américaine, membre du National Cancer Institute, se disputent l'antériorité de la découverte. Mais qu'importe: des tests de dépistage peuvent enfin être développés parallèlement à la mise en place d'une stratégie de prévention. Objectif: freiner la progression de la pandémie en attendant l'arrivée d'un vaccin. L'opération ne prendra pas plus de deux ans, dira-t-on alors.

Un virus d'un genre nouveau

Le mystère reste cependant entier. Quel est ce nouveau virus? Comment se transmet-il? «Très vite, les lymphocytes TCD4+ sont identifiés comme cibles principales du VIH. Les macrophages et les cellules présentatrices d'antigènes sont ensuite venus compléter cette liste», explique Françoise Barré-Sinoussi, chef de l'unité de régulation des infections virales de l'Institut Pasteur, et membre de l'équipe qui a isolé le virus en France.
À l'époque, on sait aussi que le VIH appartient à la famille des rétrovirus, dont la particularité est de disposer seulement d'un ARN(2) pour tout patrimoine génétique. Une fois dans nos cellules, le brin d'ARN est dédoublé en ADN avant de se lier à nos chromosomes.
Cette transcription inverse, effectuée à l'aide d'une enzyme spécifique, confère au virus un potentiel mutagène énorme, car, contrairement à une transcription normale, aucun système ne permet de corriger d'éventuelles erreurs de codage.
«Le mécanisme de la dépression immunitaire induite par le VIH s'est avéré beaucoup plus complexe que ce que l'on envisageait au départ», explique Luc Montagnier, le virologue qui dirigeait à l'époque l'équipe française de l'Institut Pasteur. Il poursuit aujourd'hui ses recherches au sein de la Fondation mondiale recherche et prévention SIDA, fondée en 1993 sous l'égide de l'UNESCO. «En fait, il n'agit pas du tout comme un simple virus qui infecte et tue des cellules cibles. Le SIDA est une affection chronique et lente. Les maladies opportunistes fatales se manifestent 5 voire 10 ans après l'in fection. Il convient d'expliquer la longueur de cette phase de latence où d'innombrables facteurs entrent en jeu, en premier lieu l'état du système immunitaire de la personne affectée.»
«De récentes études désignent les cellules lymphocytaires autour de l'intestin comme premières cibles du virus, précisément parce qu'elles sont souvent activées par différents facteurs infectieux», poursuit le virologue. Car pour survivre, le virus a besoin de cellules lymphocytaires activées. Or, elles ne le sont qu'en cas d'infection. Ce qui explique, par exemple, qu'une femme atteinte par une affection vaginale ulcérante, comme un herpès ou une syphilis, augmente ses risques de contracter le virus. «Toute activation du système immunitaire est une aubaine pour le virus. Ceci explique l'échec de certains vaccins: ils stimulent les cellules cibles du VIH et favorisent ainsi soit la reprise de la maladie, soit l'infection par le VIH», complète Luc Montagnier.

Le vaccin: échec cuisant...

Ce lien étroit qui associe le virus à notre système immunitaire, combiné à la capacité qu'il a de faire varier sa propre structure membranaire pour déjouer nos défenses naturelles, explique donc pourquoi, après deux décennies de recherche, aucun vaccin ne permet encore de contrer le VIH. Car pour s'y attaquer, impossible de passer par la méthode conventionnelle qui consiste à stimuler notre organisme à produire des anticorps en lui soumettant une dose inoffensive du virus que l'on veut neutraliser.
L'activité immunitaire résultante faciliterait, au contraire, la propagation du virus. Des stratégies détournées doivent donc être élaborées.
Mais là aussi, les obstacles sont nombreux. Les chercheurs ont ainsi longuement tenté de stimuler l'organisme à reconnaître certaines protéines membranaires invariables du VIH, gp120 par exemple. Cependant, tous les essais cliniques se sont soldés par un échec. Les stratégies intermédiaires se sont révélées tout aussi décevantes. En septembre 2007, la firme Merck annonçait l'interruption de l'essai STEP.
«Ce candidat vaccin visait à induire une immunité par le biais d'un adénovirus de type 5 (le virus responsable du rhume) au sein duquel on avait introduit trois gènes du VIH», rappelle Françoise Barré-Sinoussi. «L'approche avait donné de bons résultats sur les singes, mais chez l'homme, elle s'est montrée inefficace et semblait même augmenter les risques de contracter le virus.»

...mais l'espoir persiste

L'immense déception de l'échec STEP a quelque peu plombé les espoirs de développement imminent d'un vaccin. Lors de la 17ème Conférence mondiale sur le SIDA tenue à Mexico en août 2008, les chercheurs se sont largement accordés pour dire que le virus est un ennemi bien plus coriace que ce que l'on pensait à l'origine.
Alors que certains estiment à présent qu'il faudrait encore deux décennies de recherche pour parvenir à un vaccin, de nombreuses voix s'élèvent en faveur d'un retour à la recherche fondamentale en immunologie. «De fait, on connaît encore très peu de choses sur l'infection VIH elle-même, notamment sur les signaux lui permettant de moduler nos défenses naturelles», précise Françoise Barré- Sinoussi. «De récentes études démontrent qu'après seulement quelques heures d'exposition, le VIH est capable d'altérer les premières réponses immunitaires de l'organisme. Mais les mécanismes lui permettant d'agir de la sorte restent largement méconnus.»
Malgré ces zones d'ombre, la recherche persévère. Au sein du Karolinska Institutet (SE), par exemple, une équipe travaille sur une molécule capable de s'adapter aux anticorps pour leur permettre de contrer l'infection par le VIH. Des tests in vivo ont démontré qu'elle était efficace à 90 %. Aux États-Unis, des chercheurs de Sangamo BioSciences, une société privée, envisagent de saboter la protéine CCR5, corécepteur du VIH disposé sur la membrane des cellules immunitaires. La pratique s'inspire des personnes présentant une résistance naturelle au VIH, toutes héritières d'une mutation qui bloque l'action de CCR5.
Pour sa part, Luc Montagnier insiste sur les avantages du développement d'un vaccin thérapeutique. «L'idée consiste à s'attaquer au virus lorsqu'il est déjà dans l'organisme.
Moyennant rétablissement préalable du système immunitaire par la trithérapie et l'apport d'antioxydants en vue de corriger le stress oxydatif provoqué par le SIDA, un coup fatal pourrait être porté au virus à l'aide d'un vaccin, qui, contrairement à ceux testés jusqu'alors, n'utilise pas des protéines du virus à l'état natif mais une version du VIH modifiée par génétique moléculaire. Le succès de la molécule est, de surcroît, plus facile à évaluer que dans le cadre d'un vaccin préventif: on peut interrompre la trithérapie juste avant l'administration du vaccin et si la charge virale du patient ne remonte pas par la suite, c'est que la molécule est efficace.»

Thérapies élitistes?

Malgré les nombreux échecs essuyés par la recherche vaccinale, les stratégies de maîtrise de la maladie ont, pour leur part, énormément évolué. «L'identification des cellules cibles et du mode de réplication du VIH a mené au développement d'inhibiteurs tels que l'AZT, une des premières molécules antirétrovirales», rappelle Françoise Barré-Sinoussi. «L'apparition de phénomènes d'échappement au traitement a ensuite conduit à l'élaboration de nouvelles combinaisons thérapeutiques connues au - jourd'hui sous le nom de trithérapies.»
Apparue en 1996, la trithérapie, dont les effets secondaires restent très lourds même s'ils ont été atténués en une décennie de développement, combine différents antirétroviraux pour contrer la capacité naturelle du VIH à déployer des résistances face à une seule molécule. Les antirétroviraux agissent généralement sur l'enzyme qui permet la conversion de l'ARN viral en ADN (inhibiteurs de la transcriptase inverse). Mais ils peuvent également s'attaquer à l'enzyme nécessaire au découpage et à l'assemblage des copies du virus (inhibiteurs de la protéase) ou à celle qui lie ADN viral et humain (inhibiteurs de l'intégrase).
En agissant sur une protéine spécifique, d'autres molécules empêchent même la fusion de la membrane du virus avec celle de nos cellules (inhibiteurs de fusion).
Cependant, malgré l'efficacité des trithérapies, la grande capacité mutagène du virus lui permet de développer des résistances sur le long terme. Le traitement doit donc être modulé en fonction des mutations propres à l'infection de chaque patient, d'où la variété des molécules antirétrovirales. Les progrès n'en restent pas moins immenses. «Au début des années ‘80, nous étions totalement impuissants face à la progression du SIDA. Désormais, les trithérapies maîtrisent si efficacement la charge virale que les malades peuvent presque jouir d'une espérance de vie normale», se réjouit le professeur Montagnier. Toutefois, le constat ne peut s'effectuer que dans une perspective élitiste.
«Les thérapies sont coûteuses et la durée du traitement ainsi que les résistances sociales liées au SIDA font qu'elles sont largement inaccessibles dans les pays pauvres, là où l'épidémie fait le plus de ravages», ajoute-t-il (voir encadré).
Malgré les objectifs du millénaire de l'ONU qui visent à offrir, d'ici 2010, une trithérapie à l'ensemble des personnes affectées par le SIDA, les populations du Sud restent de fait majoritairement exclues de la prise en charge.
«Même si environ 30% des malades issus des régions en développement ont désormais accès à une thérapie antirétrovirale, on reste très loin du compte», observe Françoise Barré- Sinoussi. Ce qui fait que, sur les sept minutes que vous aurez passées en moyenne à lire cet article, environ 28 personnes sont décédées des suites du SIDA.

Julie Van Rossom

  1. Nous nous référons ici au VIH-1. En 1986, une deuxième souche, le VIH-2, qui sévit principalement en Afrique de l'Ouest, a été découverte par l'équipe du professeur Montagnier.
  2. Acide ribonucléique. Similaire à l'ADN du point de vue moléculaire mais constitué d'un seul brin, son rôle principal, dans une cellule, est de transmettre l'information génétique hors du noyau de la cellule. Avant la découverte des rétrovirus, on pensait qu'un ARN n'allait que dans un sens, du noyau vers l'extérieur.


Cristal du site d’initiation de la dimérisation (DIS) du génome du  virus VIH-1. Ce site est constitué d’un fragment d’ARN viral de 23  nucléotides © CNRS Photothèque/Eric Ennifar
Cristal du site d’initiation de la dimérisation (DIS) du génome du virus VIH-1. Ce site est constitué d’un fragment d’ARN viral de 23 nucléotides © CNRS Photothèque/Eric Ennifar
Modèle moléculaire de la protéine synthétique «mini-CD4» (en rouge)  en interaction avec sa cible, la glycoprotéine de surface «gp 120» du  virus du SIDA de type 1 (VIH-1). © CNRS Photothèque/Philippe Barthe
Modèle moléculaire de la protéine synthétique «mini-CD4» (en rouge) en interaction avec sa cible, la glycoprotéine de surface «gp 120» du virus du SIDA de type 1 (VIH-1). © CNRS Photothèque/Philippe Barthe

En attendant, l'épidémie progresse

Selon le rapport 2008 de l'ONUSIDA, la prévalence mondiale du VIH s'est stabilisée, même si le nombre d'individus séropositifs est passe de 29 millions en 2001 a 33,2 millions en 2007. Actuellement, plus de deux tiers des malades vivent en Afrique subsaharienne. La progression du virus se stabilise ou décline dans la plupart des pays de cette région, mais la situation n'en reste pas moins dramatique: 76% des décès lies au SIDA en 2007 sont survenus en Afrique subsaharienne. En Afrique australe, 8 pays sur 13 affichent une prévalence nationale du VIH chez les adultes de plus de 15 %.
En d'autres endroits, l'épidémie progresse toujours. Les taux d'infection les plus élèves sont relevés en Asie orientale, notamment en Indonésie et au Vietnam, mais aussi au sein de la CEI (Communauté des États Indépendants, anciennes républiques soviétiques) ou la Russie et l'Ukraine déplorent un grand nombre de nouveaux cas.

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