Énergie fossile

Le charbon est mort… vive le charbon?

Publié dans research*eu, Edition spéciale pétrole, Avril 2008 - Read the English version

Avec l’envolée des prix du pétrole et du gaz la consommation de charbon connaît aujourd’hui une forte recrudescence au niveau mondial. Une tendance particulièrement prononcée en Chine et en Inde, où l’abondance de la houille permet de faire face à l’explosion de la demande énergétique. Mais concilier l’ascension démographique et économique du monde émergent avec les incontournables impératifs liés au réchauffement climatique et à la sécurité énergétique sera une véritable gageure.


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Selon le scénario de référence du World Energy Outlook 2007 de l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE)– fort à propos consacré à la Chine et à l’Inde –, la consommation globale de charbon augmentera de 74% entre 2004 et 2030. Les réserves mondiales s’élèvent aujourd’hui à 998 milliards de tonnes, quantité qui permettrait de fournir assez d’énergie à la planète entière pour les quelque 160 années à venir. Bien que le charbon s’exploite dans plus de 100 pays couvrant l’ensemble des continents à l’exception de l’Antarctique, les deux tiers des mines exploitables se concentrent dans le sous-sol de quatre pays. Les États-Unis, avec 27% des réserves mondiales, jouissent du stock le plus important, suivis par la Russie (17%), la Chine (13%) et l’Inde (10%). En 2004, 66% de la production mondiale provenait de ces quatre pays et deux tiers des 5,9 milliards de tonnes de charbon produits en 2005 étaient destinés à la production électrique.

L’explosion de la demande énergétique

Une aubaine pour l’Inde et la Chine, avides d’énergie pour développer leur industrie et leur réseau électrique. L’AIE prédit qu’entre 2005 et 2030, le nombre de personnes ayant accès à l’électricité en Inde passera de 62% à 96%, ce qui implique que le pays devra tripler sa capacité de production. «Selon les prévisions, 700 GW devront être ajoutés au réseau indien d’ici les années 2030, dont 60% seront générés grâce au charbon», précise N.N. Gautam, ancien expert auprès du ministère indien du Charbon. Les visées énergétiques de la Chine sont encore plus impressionnantes: pas moins de 1300 GW – l’équivalent de la capacité électrique totale des États-Unis! – devront être ajoutés au réseau au cours de la même période pour répondre au besoin des consommateurs. Les centrales à charbon y contribueront à raison de 38%.
Alors que 70% des besoins houillers de l’Inde sont destinés à la production électrique, presque la moitié (45%) de la demande chinoise provient de son industrie de base – notamment sidérurgique – en pleine expansion. La Chine s’intéresse également au charbon en vue de produire de l’essence synthétique. La Shenshua Coal Liquefaction Corporationvient d’ailleurs d’achever de construire en Mongolie la toute première usine chinoise de liquéfaction du charbon. Peu cher, accessible immédiatement et largement disponible au niveau national, le charbon s’impose comme l’option énergétique la plus adaptée aux besoins chinois et indiens. À eux seuls, ces deux pays seront responsables de pas moins de 72% de l’augmentation de la consommation houillère mondiale entre 2004 et 2030.

Les pièges de la renaissance houillère

Mais cette recrudescence inquiète: la quantité de CO2 émis lors de sa combustion dépasse d’environ 25% celle du pétrole par unité d’énergie produite, et de 50% celle du gaz. En 2004, le charbon était déjà deuxième au palmarès des sources d’énergies émettrices de CO2, avec quelque 39% des émissions globales, et on prévoit qu’il ravira la première place au pétrole d’ici 2010.
Un vaste déploiement de systèmes de capture et de stockage du CO2 (CSC) pourrait limiter l’impact environnemental induit par la renaissance houillère, mais la technologie en est encore à ses prémices et ne sera vraiment au point, selon les experts, que d’ici une dizaine d’années. «De plus, selon les études actuelles, il existe très peu de solutions de stockage en Inde, ce qui y complique l’implantation du CSC. La Chine dispose de quelques réservoirs, mais le potentiel de stockage de l’Asie reste assez faible comparé au reste du globe», estime Sankar Bhattacharya, spécialiste du CSC au sein de l’AIE.
«Conformément aux prescriptions de l’agence pour le court terme, la Chine et l’Inde se concentrent aujourd’hui sur l’optimisation du rendement des centrales à charbon existantes et sur la fermeture des installations les plus archaïques, trop polluantes», explique l’expert. Ensuite, pour réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre à moyen terme, l’AIE recommande une large implantation de technologies de charbon propre. Et en vue de minimiser la dépendance à une énergie exclusive et limitée, elle préconise enfin de diversifier les sources d’énergie en investissant, sur le long terme, dans le nucléaire et les énergies renouvelables.

Un nécessaire transfert de technologie

La Chine a déjà fait preuve de bonne volonté, notamment en annonçant une diminution de 20% de la consommation énergétique par unité de PIB d’ici 2010 et en déployant résolument sa capacité d’énergie verte. «La Chine devrait investir plus de 10 milliards de dollars dans le développement de son parc de renouvelables en 2007, prenant ainsi la position de second investisseur au niveau mondial après l’Allemagne», pouvait-on lire dans un communiqué de presse publié fin 2007 sur le site du Worldwatch Institute (1). Cependant, les pays émergents réclament un soutien financier et un plus vaste transfert de technologies de la part des pays riches, discours largement repris en décembre dernier lors de la conférence internationale sur le climat de Bali. «Les pays en développement ne sacrifieront pas leur qualité de vie au nom du réchauffement climatique », présage N.N. Gautam. «Le monde développé doit donc impérativement accroître le transfert des technologies vers les pays pauvres. »
Fondée historiquement sur la Communauté économique du charbon et de l’acier (CECA), l’Union européenne amplifie aussi ses recherches sur le charbon propre pour contrer sa dépendance aux importations de gaz et de pétrole. Le traité de la CECA, expiré en 2002, a en effet permis à l’Union de cultiver une expertise de pointe, tant en matière d’efficacité énergétique que de propreté de combustion, et ce grâce à 50 ans de mise en commun des efforts de recherche sur le charbon et l’acier. Une expertise qui, si elle est partagée, pourrait s’avérer extrêmement utile aux pays en développement.
La recherche jouera évidemment un rôle déterminant pour harmoniser au niveau mondial la croissance économique, la consommation énergétique et la préservation de l’environnement. Reste à voir si – et comment – les responsables politiques coordonneront l’immense effort scientifique nécessaire pour relever ce périlleux défi. Un choix crucial, car bien des experts affirment que, dans un contexte de pénurie énergétique globale, ce qui fait le plus défaut à l’humanité ne sont ni les ressources, ni les technologies, mais bien le temps

Julie Van Rossom

  1. China on pace to become global leader on renewable energy, www.worldwatch.org, 14/11/2007

Prévision de la croissance des capacités de production  d’électricité en Chine (scénario de référence 2005-2030 de l’IEA). ©  OECD/IEA 2007
Prévision de la croissance des capacités de production d’électricité en Chine (scénario de référence 2005-2030 de l’IEA). © OECD/IEA 2007
Prévision de l’évolution des combustibles pour la production  électrique en Inde (scénario de référence 2005-2030 de l’IEA). ©  OECD/IEA 2007
Prévision de l’évolution des combustibles pour la production électrique en Inde (scénario de référence 2005-2030 de l’IEA). © OECD/IEA 2007

Liquéfaction du charbon: une solution durable?

La liquéfaction du charbon, mise au point en Allemagne dans les années ‘20 et largement utilisée par les Nazis lors de la Deuxième Guerre mondiale, consiste à produire du carburant de moteur à explosion à partir de la houille.
La liquéfaction indirecte se base sur le procédé Fischer-Tropsch (F-T) et consiste à dégrader totalement la structure du charbon par gazéification avec de la vapeur et de l’oxygène. On obtient ainsi un gaz synthétique (syngaz) que l’on fera réagir sur un catalyseur F-T en vue de former des hydrocarbures liquides.
La liquéfaction directe se base sur le procédé de Bergius. La manoeuvre consiste à incorporer du charbon broyé à un solvant de recyclage lui-même dérivé du charbon. La pâte charbon-huile qui en résulte est ensuite chauffée à 450 °C dans une atmosphère d’hydrogène à une pression comprise entre 13 900 et 20 900 kilopascals.
Alchimie révolutionnaire? Cela dépend de l’efficacité des futures techniques de capture et de séquestration du CO2, car la liquéfaction, qu’elle soit directe ou indirecte, libère beaucoup plus de CO2 que l’extraction et le raffinage du pétrole.

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