Révolution énergétique: La Trilogie

La faim du pétrole

Publié dans research*eu, Edition spéciale pétrole, Avril 2008  - Read the English version

Dans un monde sans hydro carbures, nous pouvons facilement imaginer de ne plus prendre l’avion, d’abandonner la voiture, d’oublier les vêtements synthétiques, et de nous chauffer au bois. Mais pourrons-nous arrêter de manger?




«En Occident, pour produire une calorie alimentaire, approximativement dix calories d’hydrocarbures sont consommées. Nous transformons le pétrole en nourriture par le biais de la terre, en somme. C’est comme si nous mangions du pétrole», ironise David Strahan.
La révolution verte entamée dans les années ‘40 a permis d’accroître considérablement le rendement agricole mondial grâce à l’introduction des nouvelles techniques de production intensives. Celles-ci ont autorisé une croissance démographique sans précédent, la population du globe ayant doublé au cours des cinq dernières décennies. Une conjoncture qui fait craindre le pire pour la sécurité alimentaire mondiale au cours des années suivant le pic pétrolier. En effet, sans or noir, impossible de faire tourner les machines agricoles et de transporter les produits ou les matières premières mais, surtout, impossible de synthétiser les intrants – engrais, herbicides et pesticides – provenant de l’industrie pétrochimique.
«Dans un tel contexte, la politique de l’Union européenne en matière de biocarburants s’avère totalement stupide et contre-productive», s’exclame Strahan. En effet, alors qu’une pénurie de pétrole mettrait en péril l’accès mondial à la ressource vitale qu’est la nourriture, nos politiciens envisagent de priver l’industrie alimentaire d’une partie de la production agricole au bénéfice du transport. Et ce pour obtenir des résultats plutôt mitigés: «Sur base des statistiques publiées en 2004 par l’AIE, il faudrait dédier 20% de la surface cultivable de l’Europe pour produire à peine 5% de nos besoins en carburant. Même si on consacre l’intégralité de nos terres agricoles à la production de biocarburants, nous ne pourrons satisfaire que 25% de nos besoins en matière de transport et nous serons affamés.»

Retour aux sources

Consacrer une partie des terres aux biocarburants pourrait rendre encore plus aigüe une question déjà cruciale: comment se nourrir sans l’aide de la pétrochimie? Avec les méthodes agricoles ancestrales, qui ont fait leurs preuves, sans intrants et sans machines agricoles, bref, sans une seule goutte de pétrole? «De fait, la seule manière d’assurer la sécurité alimentaire mondiale sans pétrole serait peut-être de cultiver de manière biologique », conçoit David Strahan. «Mais une incertitude fondamentale découle de cette transition: est-il possible de maintenir le rendement actuel?» Certains affirment que le «bio», malgré une production réduite les premières années, peut atteindre sur le long terme un rendement équivalent à celui de l’agriculture intensive. «Mais dans ce cas, je me demande bien pour quelle raison nos fermiers dépensent autant d’argent dans les pesticides, les engrais et l’énergie de base de la mécanisation.»
Malgré ses doutes, David Strahan se veut optimiste. «Des solutions existent déjà, notamment pour produire localement l’énergie nécessaire au fonctionnement de la machinerie agricole de base. On pourrait utiliser du biogaz (méthane) généré par fermentation des résidus de la ferme, par exemple, ou encore des piles électriques, chargées via l’éolien ou le solaire. Toutefois, même si le biologique permettait un rendement équivalent, le transport des produits de la ferme vers l’assiette du consommateur reste un problème déterminant. L’agriculture du futur sera donc plus que probablement locale.»

Homo energetis

Vandana Shiva, figure emblématique du mouvement altermondialiste et présidente de la Fondation de recherche pour la science, les technologies et les ressources naturelles d’Inde, va encore plus loin. Elle prône un retour pur et simple aux techniques agricoles ancestrales. Elle place dès lors le travail physique, animal mais surtout humain, en tête des énergies vertes. «Les subsides de l’État doivent absolu ment promouvoir un retour à l’agriculture traditionnelle pour couper court tant à la dépendance sur les ravitaillements de longues distances, beaucoup trop coûteuse en terme d’énergie, qu’aux conséquences désastreuses de l’agriculture industrielle sur le climat. Cette dernière et le commerce alimentaire qui l’accompagne sont responsables de 25% des émissions mondiales de dioxyde de carbone», explique Shiva. «La véritable énergie du futur réside dans l’énergie humaine.»
À condition, bien sûr, qu’elle soit disponible. «Les campagnes observeront probablement un repeuplement, du fait de la recrudescence du besoin de main d’oeuvre», estime David Strahan. «Toutefois, ceci ne signifiera pas la fin des villes. Ces dernières sont trop peuplées. Transférer l’intégralité de la population urbaine vers les campagnes reviendrait à les détruire intégralement. En revanche, les citadins cultiveront certainement leur jardin ou leur toit en réaction à l’envolée des prix alimentaires mondiaux. À mon sens, ce mouvement sera spontané: les citadins prendront eux-mêmes les choses en main pour contrer la crise alimentaire provoquée par le pic pétrolier. Une chose est sûre, la nourriture urbaine devra soit être produite dans la ville, soit dans ses alentours, économie d’énergie oblige.»
Jean-Pierre Geets, Julie Van Rossom

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