Demain est un autre jour
Publié dans research*eu, Edition spéciale pétrole, Avril 2008 - Read the English versionC’est un fait: nos dirigeants peinent à mettre en place aujourd’hui des mesures préparatoires efficaces pour paver la route de la transition énergétique de demain. Et s’ils n’y arrivaient pas?
«Nous sommes dans une impasse anthropique», explique David Wasdell, coordinateur international du Meridian programme et réviseur des rapports du GIEC spécialisé dans la dynamique du changement climatique. «D’une part, l’ère de l’énergie illimitée s’achève. La demande augmente alors que les sources d’énergie se raréfient et les modes d’extraction du pétrole deviennent de plus en plus coûteux. D’autre part, nous émettons trop de CO2, justement parce que nous privilégions les hydrocarbures comme source énergétique principale. Il est grand temps de reconnaître la vraie nature des hydrocarbures. Toxiques et sans avenir, on ne doit plus les considérer comme une ressource limitée à partager, mais comme une menace réelle pour l’humanité.»
Droit dans le mur
Certes le prix de l‘énergie va augmenter, mais la situation est-elle si préoccupante? «Peutêtre regretterons-nous un jour le baril à 100$, car ce dernier risque bien d’atteindre les 200$», prédit David Strahan, pour qui cette envolée pétrolière pourrait ensuite provoquer une augmentation drastique de l’ensemble des prix, suivie par des pertes d’emplois, un effondrement du pouvoir d’achat et une stagnation de la production. Et l’économie entrerait dans une ère extrêmement sombre.Mais «le marché», comme le suggèrent d’aucuns, n’est-il pas là pour réguler les prix? «Bien sûr la demande ne pourra au final que diminuer, car plus personne ne pourra se permettre d’acheter du pétrole, ce qui entraînera une baisse du prix. Mais il sera probablement trop tard, car à ce moment-là, les pertes massives d’emploi risquent de préoccuper la société civile bien plus que les prix de l’essence. Il faut cesser de se fixer sur le prix du pétrole, et se concentrer sur les conséquences de sa disparition », prévient Strahan. Pour lui, la raréfaction du pétrole risque en effet d’entraîner un effondrement total de notre économie, tant cette ressource s’est infiltrée dans l’ensemble des activités humaines, comme les échanges commerciaux, la production industrielle ou encore les déplacements des individus vers leur lieu de travail. «Le pétrole est ancré si profondément dans nos sociétés qu’une restriction des approvisionnements provoquera une grave récession.»
Myopie structurelle
Nos dirigeants pourront-ils anticiper cette menace et préparer le terrain de la transition en douceur vers une société sans hydrocarbures? L’AIE se veut pragmatique. «Il y a trois moyens de catalyser l’innovation au niveau national» estime Carrie Pottinger. «Le premier pré-requis est l’existence d’un environnement universitaire robuste. Le deuxième ingrédient est un plus grand transfert des résultats de la R&D des académies vers le secteur privé. Le financement de recherches spécifiquement ciblées permettra l’accélération des percées technologiques nécessaires à l’apparition des innovations. Le dernier élément est une politique gouvernementale consistante et claire s’étalant dans la durée.» Une durée qui se prolonge, en l’occurrence, considérablement au-delà du mandat pro tempore de nos responsables politiques. «Ce qui est un véritable challenge, vu la nature de nos démocraties ainsi que la rotation des priorités et des personnes», poursuit Carrie Pottinger.Nos démocraties ont peut-être, par nature, la vue trop courte pour discerner des enjeux à si long terme. Certains estiment que les fondements mêmes du système démocratique entravent la mise en place d’actions cohérentes. «Les politiciens sont incapables d’adopter véritablement une vision à long terme efficace. Ceci est essentiellement dû à la nature même du système électoral», estime Simon Cooper, membre fondateur de Converging World, une association britannique qui finance des projets d’énergie verte dans les pays en développement. «Aucun politicien ne mettra ses perspectives de réélection en péril en imposant des mesures impopulaires. Parce que l’action à long terme est forcément peu aguichante, les autorités publiques se concentrent systématiquement sur le court terme.»
Un constat sur lequel s’accordent même certains politiciens. «Des problèmes tels que le pic pétrolier et le réchauffement climatique, qui nécessitent une réponse planifiée sur le très long terme, effraye les dirigeants tant ils ne savent comment réagir face à de telles situations », déclare Jonathan Porritt, Président de la Commission pour le développement durable du Royaume-Uni. «Les politiques n’agiront qu’en cas de crise, si l’offre de pétrole diminue subitement et provoque une augmentation spectaculaire des prix.»
Pour d’aucuns, une telle implosion économique pourrait réveiller la conscience collective et catalyser le changement radical de nos modes de vie dans une perspective plus durable. «Je pense que cet argument est un peu simpliste», répond Strahan. «Car en dehors du pétrole, il reste du gaz et du charbon dont la consommation augmentera, et avec elle les émissions de gaz à effet de serre qui viendront grossir le problème. Et si le pic pétrolier provoque le crash économique escompté, le capital, les richesses fondront à vue d’oeil. Où trouveronsnous alors les investissements nécessaires pour bâtir la toute nouvelle infrastructure énergétique dont nous aurions besoin?».
La débrouille?
Une situation qui pourrait mettre à mal la démocratie elle-même. «Du point de vue macro-économique, je ne pense pas que le pic pétrolier soit bénéfique pour le système démocratique. Ce dernier est, en effet, mal adapté pour encadrer les changements nécessaires pour contrer les effets de cette crise, ce qui explique d’ailleurs l’échec de toutes les politiques en la matière. Dès lors, toute une panoplie de scénarios est envisageable, du renforcement de l’activisme communautaire local à l’émergence d’une forme d’autoritarisme au sein du gouvernement central. On pourrait même imaginer une combinaison de ces deux cas de figure».La solution viendra-t-elle dès lors de la société civile? Pour Simon Cooper, «l’action politique est insuffisante, seules les initiatives individuelles consenties et promues au niveau communautaire engendreront de véritables solutions.» C’est par exemple par le biais de l’aide financière accordée par des sociétés privées implantées dans les pays riches que son association finance ses projets dans les pays en développement. Pour lui, l’action individuelle est la seule capable de combler les carences des décisions politiques. Cela suffira-t-il? Jonathan Porritt en doute. «Les mouvements sociaux qui émergent au niveau local ne peuvent avoir, à mon sens, qu’une influence très marginale.» Strahan concède que la situation à venir est assez préoccupante. «Mais j’ai quand même l’espoir que le pic pétrolier engendrera des mouvements sociaux au niveau local, afin que les gens puissent prendre leur futur en main en concertation avec leurs voisins.»
Une chose est sûre: le pic pétrolier et, à plus long terme, le réchauffement climatique vont considérablement modifier le visage de notre monde. Reste à nous préparer au mieux à cette incroyable transition, résumée comme suit par David Wasdell: «Deux chenilles sur un chou voient passer un papillon. L’une d’entre elles dit à son compagnon: jamais tu ne me surprendras sur un de ces machins! Je pense que le monde de demain sera aussi différent du nôtre que les chenilles le sont des papillons.»
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