Révolution énergétique: La Trilogie

La science à la une

Publié dans research*eu, Edition spéciale pétrole, Avril 2008 - Read the English version

Génératrice d’innovations, la science jouera de toute évidence un rôle central dans la révolution énergétique à venir. Elle investit aussi progressivement une fonction de conseiller auprès du monde politique, une tendance reflétée par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), dont les avis prennent de plus en plus – en tout cas dans les médias – valeur de référence absolue.



Ceux qui comptent sur la recherche pour nous sortir de l’ère du pétrole devront peut-être patienter, car elle pourrait d’abord nous y maintenir. «Cette ère est loin d’être révolue», prévient d’emblée Antonio Pflüger, chef de la division pour les collaborations de technologie énergétique au sein de l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE). «De nombreuses ressources potentiellement exploitables existent encore à travers le monde. Des investissements de R&D destinés à élaborer de nouveaux modes d’extraction et de nouvelles méthodes de génération d’hydrocarbures, permettront très certainement d’accroître les réserves au cours des décennies à venir. Les gisements non conventionnels, comme les puits sous-marins de l’océan Arctique qui ne peuvent être exploités en l’état actuel des technologies, ou les schistes bitumineux dont la conversion en pétrole est encore trop coûteuse, pourront très certainement servir de réserves dans un futur proche.»
L’AIE table également sur l’amélioration du rendement de la consommation énergétique. «Une stratégie capitale, car elle permet de gagner tant sur le terrain de l’économie des ressources que sur celui de la réduction des émissions de dioxyde de carbone.»
Ces mesures devraient permettre de retarder une échéance à laquelle Antonio Pflüger précise malgré tout qu’il faille déjà se préparer, notamment dans les transports, responsables de quelque 60% de la consommation mondiale de pétrole. «Les recherches portant sur les voitures électriques et hybrides et sur de nouveaux carburants tels que l’hydrogène et la biomasse sont sans aucun doute précurseurs d’avenir.»

Business as usual?

Mais la stratégie d’investissement R&D préconisée par l’AIE ne fait pas l’unanimité.
Certains s’inquiètent, en effet, d’une trop grande concentration des efforts de recherche sur les ressources fossiles encore inexploitées car cette politique n’est que la continuation d’un modèle déjà obsolète et ne permet pas de se débarrasser de la dépendance pétrolière de nos sociétés.
Pour Hermann Scheer, Président du Conseil mondial de l’énergie renouvelable et de l’association Eurosolar, continuer à investir dans les énergies fossiles sape durablement nos perspectives d’avenir durable. «Si on ne passe pas aux énergies renouvelables dans les deux décennies à venir, on peut prévoir que de violents conflits pour le contrôle des ressources secoueront notre monde. Le passage d’un mode d’énergie à l’autre implique non seulement de continuer à développer les énergies renouvelables mais aussi de supprimer les besoins en énergies fossiles et nucléaires: il faut à la fois entrer dans un type d’énergie et en quitter un autre. Il faut dès lors que l’on arrête de gaspiller des milliers de milliards pour construire de nouvelles centrales thermiques et nucléaires, ce qui revient à bétonner pour les décennies à venir les structures conven tionnelles de l’approvisionnement énergétique. Il faut que l’activation qualitative et quantitative des énergies renouvelables aille beaucoup plus vite que ne le prévoient actuellement les programmes gouvernementaux – d’autant plus que, pour la plupart d’entre eux, leur conception générale et leurs vecteurs ne permettront pas même d’atteindre les objectifs annoncés», écrit-il dans son dernier livre (1).
Quant aux mesures d’efficacité énergétique, David Strahan, consultant pour l’Oil Depletion Analysis Center (ODAC) et journaliste spécialisé dans les questions relatives au pic pétrolier, doute qu’elles permettent de réelles économies d’or noir. «Nous investissons dans le rendement énergétique depuis la première crise pétrolière de 1974. Cependant, ces améliorations n’auront servi qu’à baisser le coût de l’énergie, ce qui a finalement entraîné une augmentation de la consommation. Rien ne sert d’améliorer le rendement sans adopter en parallèle une stratégie de rationalisation de la consommation énergétique.»
Un argument admis par Carrie Pottinger, coordinatrice en technologies énergétiques au sein de l’AIE, qui par ailleurs souligne qu’il n’existe pas de solution unique en matière d’approvisionnement énergétique. «La question essentielle n’est pas quelle sera la source énergétique dominante. Le véritable enjeu est de savoir si les gouvernements sont préparés à engager les politiques adéquates pour permettre la rentabilité et le déploiement à grande échelle de solutions de remplacement. Ces dernières doivent occuper aujourd’hui une place plus importante au sein de nos marchés énergétiques afin d’éviter les problèmes de ravitaillement futurs. Un futur qui pourrait être plus proche qu’on ne le pense vu l’augmentation actuelle des prix du pétrole ainsi que l’évolution de certains enjeux géopolitiques.»

L’indépendance en question

Dans quelle direction, alors, faut-il planifier les recherches qui devraient façonner les innovations de demain? Les enjeux sont vitaux, car le pic pétrolier risque bien d’engendrer une crise économique sans précédent. Et si elle se combine aux probables impacts du réchauffement climatique, il faut s’attendre à un cocktail explosif sur le plan social. La science peut-elle dès lors épauler la stratégie d’investissement en R&D du politique par l’élaboration de scénarios du futur qui nous aideraient à prendre les bonnes décisions?
Avec l’émergence ces dernières années du Groupe Intergouvernemantal d’Experts sur l’Évolution du Climat (GIEC), le monde scientifique semble en tout cas prendre progressivement une place de conseiller du politique. Un état de fait qui réjouit Rajendra Pachauri, président du GIEC. «Le fait que les dirigeants du monde entier et ceux qui façonnent l’opinion publique ont été profondément influencés par les conclusions du GIEC représente à mon sens un formidable progrès qui pourrait être adopté dans l’ensemble des domaines de compétences politiques. Nous entrons aujourd’hui dans une ère de savoir. Si on désire réellement développer le monde durablement, alors le savoir doit guider les efforts dégagés en ce sens.»
Et pour ce qui est de l’indépendance de la science, si chère aux chercheurs justement parce qu’elle garantit leur crédibilité, le président du GIEC se veut rassurant. «Le savoir ne peut être contrôlé ou ajusté aux désirs des autorités publiques. Nous devons tout faire pour empêcher une interférence du politique avec les résultats de la science. Notre devoir est précisément de disséminer au public tout savoir scientifiquement établi. Une fonction qui me tient particulièrement à cœur.»
S’il est vrai que le GIEC regroupe les avis d’un grand nombre de chercheurs dont on imagine mal qu’ils souscrivent à une idéologie commune, il reste que leurs conclusions – d’ailleurs «revisitées» par les décideurs – se fondent sur le compromis, un exercice plus souvent pratiqué dans les cabinets que dans les laboratoires. Et comme, dans les médias, un compromis devient vite un consensus, puis une vérité, les réserves de certains trouvent difficilement un écho, notamment quant à l’origine anthropique du réchauffement climatique. Bien sûr ces climatosceptiques – on a même écrit révisionnistes – se disqualifient souvent d’eux-mêmes par un discours agressif dénonçant un complot écologiste généralisé, ou par leurs propres accointances avec le politique – ici un conseiller spécial de la Maison Blanche, là un scientifique occasionnellement ministre. Mais s’il est un scientifique sérieux qui cherche une autre origine au réchauffement – l’activité solaire par exemple – pourra-t-il financer ses recherches dans le contexte actuel? Il faut espérer que l’homme soit bien le coupable, si désormais on n’instruit plus qu’à charge.
Le GIEC préfigure peut-être une mutation en profondeur du rôle de la science dans le siècle à venir, en particulier dans ses rapports avec le politique et avec la société civile, notamment au travers des médias où elle est de plus en plus présente, souvent sans nuance. L’occasion d’exercer, plus que jamais, sa vigilance et son esprit critique.

Jean-Pierre Geets, Julie Van Rossom

  1. Hermann SCHEER, L’autonomie énergétique. Une nouvelle politique pour les énergies renouvelables, Acte Sud, 2007

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