Asthme et allergies:
gros plan sur les leucotriènes
Publié dans research*eu, n°55, Janvier 2008 - Read the English versionEn juillet dernier, des chercheurs européens ont dévoilé, avec une précision encore jamais atteinte, la structure du leucotriène C4 synthase (LTC4 synthase). Cette enzyme intéresse de près les scientifiques car elle joue un rôle clé dans le processus complexe régissant certaines allergies, notamment l’asthme. Une découverte prometteuse, résultat de la collaboration entre deux projets de recherche européens.
4 synthase au sein de la membrane cellulaire. En gris, vert et violet, les trois protomères sous-unités) composant cet homotrimère (protéine constituée de 3 sous-unités). Daniel Martinez Molina">
4 synthase. Les sites actifs sont représentés par des points. © Daniel Martinez Molina">
4 synthase. Chaque couleur symbolise un type de molécule. © Daniel Martinez Molina">
À quoi ressemble le leucotriène C4 synthase? Déterminer avec un maximum de précision la silhouette tridimensionnelle de cette protéine membranaire a occupé durant plus de huit années des chercheurs impliqués dans les deux projets européens Eicosanox et E-Mep. L’élucidation de sa structure à une résolution de 2 Å (1), une première mondiale, constitue une avancée de taille vers le développement de nouvelles thérapies destinées à combattre des allergies telles que la rhinite allergique – le «rhume des foins» – et certaines formes d’asthme. Le LTC4 synthase est, en effet, une enzyme essentielle à la synthèse du leucotriène C4 (LTC4), un médiateur chimique qui agit comme bronchoconstricteur et qui est produit en excès par les patients atteints par les pathologies de ce type. Maîtriser la production du LTC4 permettrait de déjouer les mécanismes inflammatoires complexes propres à l’asthme et à la rhinite allergique, car cette hormone est responsable de la fermeture du calibre des bronches et de la surproduction de mucus.
Contrer l’origine de la maladie
«Cette nouvelle image de LTC4 synthase nous fait découvrir une molécule constituée de trois sous-unités identiques, chacune formée par cinq structures en forme de spirale», explique Jesper Z. Haeggström, professeur de biochimie au Karolinska Institut (SE) et coordinateur principal d’Eicosanox. «Nous sommes ainsi parvenus à déterminer la position exacte et les caractéristiques des sites actifs de l’enzyme.La localisation de ces emplacements, où viennent se greffer les molécules activatrices ou inhibitrices, rend désormais possible la synthèse de nouvelles protéines spécifiquement conçues en vue de bloquer l’action de LTC4 synthase, et par conséquent la synthèse du LTC4 qui intervient dans le rhume des foins et l’asthme.»
La plupart des médicaments actuellement prescrits pour ces pathologies s’attaquent aux symptômes causés par la surproduction de leucotriènes. Récemment, des anti-leucotriènes tels que le Montelukast sont apparus sur le marché, mais leur efficacité reste limitée car ils ne ciblent pas le mécanisme de production de manière assez précise. Mieux connaître le LTC4 synthase rend donc possible l’apparition de substances parfaitement adaptées à la pathologie.
«Nous travaillons sur LTC4 synthase depuis 1999, bien avant le lancement des projets Eicosanox et E-Mep. Nous avons inséré ce sous-programme au sein d’Eicosanox en réponse aux nouvelles orientations du sixième programme-cadre qui préconisaient de tendre également vers des objectifs de recherche fondamentale, à plus hauts risques d’échec. Ce sous-programme représente donc une des aspirations les plus audacieuses d’Eicosanox. La publication de nos résultats au sein du magazine Nature constitue une véritable réussite, l’aboutissement d’un travail de longue haleine achevé près de deux ans avant la fin du projet global», se réjouit Jesper Z. Haeggström.
Sur le front moléculaire
Deux ambitieux projets de recherche sont à l’origine de cette réalisation scientifique européenne d’exception. Eicosanox vise à mieux comprendre le fonctionnement de deux types de médiateurs chimiques au sein de notre organisme: les eicosanoïdes et le monoxyde d’azote (NO). Ces molécules jouent un rôle non négligeable dans de nombreux mécanismes physiologiques en tant que régulateurs de l’inflammation, de la douleur ou encore de la fièvre. Elles interviennent également comme des acteurs clés responsables de certains dysfonctionnements cardio-vasculaires, cérébraux ou encore tumoraux, d’où l’intérêt tout particulier que leur portent les chercheurs d’Eicosanox et, de manière indirecte, la Commission européenne, qui a débloqué pas moins de 10 millions € pour le projet.E-Mep, quant à lui, est le consortium européen des protéines membranaires, une vaste plate-forme de recherche dont le but est de surmonter les écueils technologiques qui freinent l’élucidation de la structure de ce type de protéines. Quelque 40% des protéines d’intérêt pharmaceutique sont, en effet, des protéines membranaires et un quart du génome humain est dédié à leur synthèse. Situées dans les membranes de toutes nos cellules, ces molécules remplissent une variété de fonctions, notamment en matière d’échange entre le milieu intra et extracellulaire. Comme elles interviennent dans nombre de maladies, mieux les connaître permettra l’apparition de nouveaux traitements, en particulier pour des pathologies incurables telles que la mucoviscidose ou la maladie d’Alzheimer.
Le coup de pouce interpersonnel
Tout ceci n’explique pas comment Eicosanox et E-Mep ont été amenés à coopérer. «Rien de plus simple», raconte Jesper Z. Haeggström, «Pär Nordlund, professeur de biochimie et de biophysique à l’université de Stockholm (SE) et chercheur au sein d’E-Mep est un vieil ami. Constatant que nos objectifs de recherche se recoupaient dans le cas de LTC4 synthase, nous avons tout naturellement décidé de joindre nos efforts.» Rien de tel, donc, qu’un petit coup de pouce personnel pour stimuler les collaborations inter-projets. Collaborations qui, malgré les efforts communautaires destinés à promouvoir une certaine transversalité en matière de recherche scientifique, sont plutôt rares au sein de l’Espace européen de la recherche (EER). Or, selon Jesper Z. Haeggström, l’expérience n’a nécessité aucune autorisation particulière, ce qui, vu la lourdeur administrative propre à l’UE, devrait réjouir les chercheurs européens.Julie Van Rossom
- 1 Å = 1 ångström = 10-10 mètre
Portrait d’une protéine: tout un programme
ùElucider la structure d’une protéine peut, comme dans le cas de LTC4 synthase, représenter un véritable travail de bénédictin. Tout commence par l’isolement de la partie d’ADN en charge de la synthèse de la molécule et le clonage de ce fragment en un grand nombre de copies. Il faut ensuite trouver un moyen de faire travailler ces répliques pour produire la protéine dans un système d’expression adéquat. Pour ce faire, le fragment est inséré dans une cellule hôte – dans la plupart des cas une bactérie ou une levure – ce qui lui permet de s’exprimer tout comme il le ferait dans des conditions naturelles. Une fois la protéine produite et extraite, il faut encore la stabiliser à l’aide de détergents afin d’éviter qu’elle ne se disloque. Ces étapes réalisées, reste à cristalliser – ou solidifier – la molécule désormais emprisonnée au sein d’une goutte d’eau. Les chercheurs utilisent ici la technique de croissance cristalline en phase vapeur, qui consiste à placer la goutte d’eau renfermant le cristal de la protéine dans un récipient contenant une substance hygroscopique, qui absorbe l’humidité. Phase finale de ce jeu de patience: faire la photographie du cristal à l’aide de rayons X. L’excellente résolution de 2 Å obtenue par les chercheurs d’E-Mep et d’Eicosanox a ici été rendue possible par l’utilisation de l’Installation Européenne de Rayonnement Synchrotron (ESRF), un énorme générateur de rayons X basé à Grenoble.
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