L'EER pour les nuls
Publié dans research*eu, n°58, Décembre 2008 - Read the English versionL’Espace européen de la recherche (EER), qu’ès aquò? Ce projet d’unification des hétéroclites systèmes de recherche européens est la pierre angulaire du développement économique de l’Europe. Néanmoins, l’EER est souvent perçu comme une obscure initiative européenne tant pour les chercheurs que pour le grand public. Tentative d’éclaircissement.
Tout commence en 2000, lorsque Philippe Busquin, alors commissaire à la recherche, présente au Conseil européen de Lisbonne une vision future du monde de la recherche de l'Union, où les scientifiques collaboreraient systématiquement selon leur excellence, où le transfert de connaissances des académies aux industries favoriserat la création rapide d'innovations et où les infrastructures de recherche feraient pâlir d'envie le reste de la planète.
Cette proposition se place au coeur de la Stratégie de Lisbonne, une politique avalisée lors de ce Conseil qui établit les bases du développement futur de l'économie européenne.
La stratégie part du constat que l'Europe industrielle n'est plus ce qu'elle était. Certes, de nombreuses industries existent encore à travers le continent. Cependant, d'autres blocs économiques, comme l'Asie, s'imposent désormais en tant que principales unités de production du globe, leur main-d'oeuvre moins coûteuse et la libéralisation des marchés mondiaux aidant.
Les dirigeants européens ont donc décidé de miser le futur de l'Union sur un domaine où elle a toujours excellé: la science et la technologie.
Le savoir-faire assurera donc, à l'avenir, gîte et couvert au Vieux continent. Une société de la connaissance, en somme, fondée sur l'éducation, l'innovation et la recherche. Trois composantes si foncièrement interdépendantes qu'on les nomme triangle de la connaissance.
«Si le progrès technologique crée les emplois de demain, c'est la recherche qui crée les emplois d'après-demain», peut-on lire dans la communication de la Commission instituant l'EER. À l'avenir, la valeur ajoutée de l'Europe reposera donc sur les nouvelles connaissances qui seront créées au sein de l'EER, source d'emploi et de profit.
Le sous-investissement
Mais un long chemin doit être encore parcouru avant que n'émerge cette société de la connaissance dont les vertus sont tant louées par les créateurs de la Stratégie de Lisbonne.Car, même si l'Europe produit, en 2000, un tiers du savoir scientifique mondial et occupe une place de premier plan dans de nombreux domaines comme l'aéronautique ou les télécommunications, ses investissements globaux de recherche, tant privés que publics, restent bien en-deçà de ceux de ses principaux concurrents que sont les États-Unis et le Japon. Précisons toutefois que la faiblesse des investissements n'est pas un constat qui peut s'appliquer de manière uniforme. En Europe, les politiques de promotion de la science se déclinent en effet sur une très large palette. Ainsi, la Suède et la Finlande font partie des pays où la R&D est des plus performantes au monde tandis qu'au sein des nouveaux États membres, où les ressources sont souvent moindres, la situation de ce secteur est parfois très précaire.
Ceci nous amène à une autre faiblesse: en Europe, les systèmes de R&D peinent à s'extirper du cadre national. Certes, une collaboration en matière de recherche s'est développée parallèlement à la construction de l'Union, avec EURATOM puis, dès 1984, avec l'émergence des programmes-cadres (PC). Cependant, les efforts européens souffrent d'un manque de synchronisation entre États membres. Résultat? Non seulement l'Europe investit moins que ses concurrents, mais elle investit aussi moins bien.
Plusieurs pays financent ainsi au niveau national des recherches identiques alors que ces ressources seraient mieux exploitées au sein d'un projet à dimension européenne.
Ce qui a été réalisé
Une fois le principe de l'EER entériné lors du Sommet de Lisbonne, un plan d'action a été publié dès 2002 pour proposer les orientations nécessaires à sa réalisation. Ainsi, ERA-Net a été lancé pour soutenir financièrement la mise en réseau de programmes de recherche nationaux et régionaux. Le projet invite tous les directeurs de programmes et les institutions de financements à proposer des actions concrètes pour coordonner leurs actions avec leurs homologues transfrontaliers dans des domaines de recherche précis. Une approche qui a notamment donné naissance au Consortium européen des forages océaniques (ECORD) et à HESCULAEP, qui vise à synchroniser les efforts de recherche en matière d'urgence médicale.Le 7ème programme-cadre (PC7) s'inscrit également en droite ligne de ce plan d'action.
Outre un budget considérablement étoffé - de 50,5 milliards € contre moins de 18 milliards € pour le PC6 - et une simplification de son fonctionnement administratif, il a été doté de nouveaux outils tels que les Initiatives technologiques conjointes (ITC), qui permettent de mettre en commun les ressources de l'Union, du secteur privé et des programmes nationaux en vue de lancer des recherches d'envergure dans des domaines clés dont le développement est avantageux tant pour les industriels que pour les États membres et l'Europe.
Les deux premières ITC ont ainsi été lancées en 2007: Artemis, qui concerne les systèmes informatiques embarqués, et IMI, une initiative pour les médicaments innovants.
Cette période a aussi couvert l'avènement du Conseil Européen de la Recherche (ERC), la première structure européenne spécifiquement dédiée au financement de la recherche fondamentale, domaine essentiel à l'émergence des innovations technologiques. Indépendant tant dans son fonctionnement que dans sa gestion, l'ERC, qui est dirigé exclusivement par des chercheurs chevronnés, offre des bourses de recherche selon des critères de sélection fondés uniquement sur l'excellence scientifique. Un an après son lancement, l'ERC tire déjà un bilan prometteur: plus de 10 000 propositions ont répondu aux deux premiers appels à projets.
Mais à côté de ces grandes avancées de l'EER, il faut noter de sérieux revers. Le projet GALILEO, dont l'objectif était de fournir à l'Europe son propre système de radionavigation par satellite, a démontré les limites des partenariats entre public et privé. Alors que le système devait être opérationnel en 2008, le consortium d'industriels chargé de la construction de GALILEO rendait sa démission en mai 2008, jugeant le risque financier trop lourdement réparti sur ses épaules sans que le public ne leur garantisse de retour sur investissement suffisant. L'Union européenne et les États membres ont de ce fait pris en charge l'ensemble des coûts liés au déploiement de Galileo.
Un autre échec concerne les financements pour la R&D, qui sont restés bien en deçà des objectifs visés par la Stratégie de Lisbonne.
En 2002, dans la continuité de cette dernière, le Conseil européen s'est accordé pour fixer à 3 % la part de PIB (produit intérieur brut) que chaque État membre devrait, d'ici 2010, consacrer au financement de la recherche (2 % devaient provenir du secteur privé et 1 % des finances publiques). Entre 2000 et 2007, ce chiffre global a stagné sous les 2 % et parfois même régressé.
Et le secteur privé ne couvre en moyenne que la moitié des investissements, et non les deux tiers escomptés. Reste à voir si les indicateurs utilisés pour jauger le dynamisme du secteur sont les bons. Un rapport publié en 2008 par le think tank Bruegel (1) conclut en effet que l'intensité de R&D, qui reflète la part de PIB dédiée aux activités scientifiques, manque de pertinence. «L'indicateur ne tient pas compte de la spécialisation industrielle d'un État. Le Luxembourg, pays résolument tourné vers la finance, investira naturellement moins dans la recherche pour assurer sa croissance que la Finlande, spécialisée dans les technologies de l'information et de la communication», explique Bruno van Pottelsberghe, auteur du rapport.
Ce qu'il reste à faire
En 2007, un vent de renouveau a soufflé sur l'EER. Janez Potocˇnik, l'actuel Commissaire à la recherche, a édité un Livre vert reprenant six axes de travail qui devront nécessairement être développés pour construire l'EER. Pour évaluer l'adhésion des acteurs de terrain au concept, le document a été soumis à une consultation publique. Les résultats, publiés en 2008, montrent un large soutien des scientifiques envers l'EER, même si tout le monde s'accorde pour constater que les défis restent immenses Le Processus de Ljubljana, lancé en avril par la présidence Slovène de l'Union, est venu renforcer le nouveau plan d'action de l'EER fixé par le Livre Vert. Il met l'accent sur les efforts à fournir du côté politique: associer plus les régions au développement de la recherche européenne, améliorer les indicateurs permettant de mesurer les performances de la R&D et, finalement, établir des partenariats à long terme entre la Commission et les États membres. Une volonté qui a notamment été matérialisée tout récemment avec un nouveau Partenariat européen pour les chercheurs, dans lequel la Commission et les États membres se sont engagés à réaliser, d'ici 2010, des progrès mesurables en matière de recrutement, de sécurité sociale, et de conditions de travail des chercheurs.Car la mobilité constitue l'un des principaux piliers identifiés par le Livre Vert. En Europe, les perspectives de carrière des chercheurs sont trop souvent circonscrites aux frontières nationales, excepté s'ils décident de s'expatrier outre-Atlantique, ce à quoi beaucoup d'entre eux se résolvent faute d'opportunités européennes.
Mais la mobilité est loin d'être le seul axe de travail. L'amélioration de la gestion et de l'autonomie des universités constitue également un des aspects fondamentaux du développement de l'EER. De même que la nécessaire accélération du transfert de connaissances, qui demandera entre autres de lever les nombreux obstacles qui jalonnent encore la définition d'un système de brevet européen.
Un projet long et fastidieux
Il y a aussi les infrastructures de recherche, si essentielles pour maintenir les chercheurs européens au sein des frontières de l'Union et attirer des profils d'excellence extérieurs. Car le LHC (Large Hadron Collider), immense collisionneur de particule du CERN, à Genève, n'est qu'un des rares exemples de collaboration européenne en matière d'infrastructures de recherche. Ces dernières requièrent des investissements tels que les ressources de l'Europe, des pays membres et du secteur industriel devront forcément être combinées.Le projet de l'Institut Européen des Technologies (IET), qui vise à charpenter l'équivalent du célèbre Massachusetts Institute of Technology (MIT) des États-Unis, s'inscrit précisément dans cette volonté d'offrir à l'Europe plus d'infrastructures d'excellence.
Le Livre vert souligne également l'importance d'ouvrir l'EER à la coopération. Un point qui tient particulièrement à coeur à la Fondation européenne pour la science (ESF), ONG regroupant des organismes de recherche issus de 30 pays différents. «Déterminer les investissements à réaliser dans la science en ne tenant compte que des priorités nationales ou même européennes limite les perspectives pour de nombreux domaines scientifiques comme la recherche fondamentale, le climat ou la génétique », estimait John Marks, directeur adjoint de l'ESF, à l'occasion d'une conférence sur le sujet en novembre 2007. «La coopération internationale entre les chercheurs issus d'un large spectre de disciplines scientifiques est souvent nécessaire, car trouver des réponses exige la collaboration des meilleurs groupes et ces derniers ne se trouvent pas nécessairement en Europe, encore moins dans un seul pays.»
On le voit, le chemin vers la réalisation de l'EER s'annonce fastidieux et pavé d'embûches.
Toutefois, aussi imparfait et hermétique qu'il soit, le concept inspire: car à l'aune de la situation d'autres blocs économiques, la construction de la recherche européenne n'est pas si bancale. Les dirigeants asiatiques travaillent en effet à réaliser une plate-forme similaire à l'EER en Asie, à l'initiative de la Corée du Sud. «De ce point de vue, le contexte européen est bien plus avantageux que le nôtre. Vous disposez d'une monnaie commune, d'un marché relativement uni, les personnes circulent sans visa ni passeport. La construction européenne constitue un atout impressionnant», constate Je-Chang Woo, Directeur général de la Fondation pour la recherche de Corée.
Julie Van Rossom
- Bruno van Pottelsberghe, ≪Europe's R&D: Missing the wrong targets?≫, Bruegel Policy Brief, numero 2008/03, fevrier 2008, www.bruegel.org
Repères
- 1957 - Signature du Traité EURATOM, qui établit une collaboration européenne en matière de recherche nucléaire.
- 1984 - Premier programme-cadre de recherche. Les PC sont les principauxinstruments européens de financement de la recherche.
- 2000 - Le Conseil européen de Lisbonne entérine le concept d'Espace Européende la Recherche.
- 2001 - L'Union européenne décide de construire GALILEO, équivalent européen du GPS américain.
- 2002 - Premiers appels à propositions pour ERA-Net.
- 2006 - Première communication sur la création d'un Institut Européen de Technologies (IET). Naissance du Conseil européen de la recherche (ERC).
- 2007 - Lancement du 7ème programme-cadre. Publication du Livre Vert «L'EER: Nouvelles perspectives» - Consultation publique. Lancement des premières Initiatives technologiques Conjointes (ITC).
- 2008 - Lancement du processus de Ljubljana.
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