Jeunes chercheurs, grand chantier
Publié dans research*eu, n°54, Décembre 2007 - Read the English versionSoulager les malades, élaborer une cure définitive: les cerveaux se mobilisent pour combattre la mucoviscidose. Fin août, le 1er colloque européen des jeunes chercheurs en mucoviscidose réunissait 51 scientifiques juniors issus de cinq pays de l’Union.
Inspirer profondément, avant d’expirer, fort. Recracher ce mucus visqueux qui encombre les parois des poumons: un rituel quotidien pour les personnes atteintes de mucoviscidose. En Europe, la mucoviscidose touche un nouveau-né sur 2500, et un individu sur 25 est porteur sain du gène. L’espérance de vie des patients a considérablement augmenté ces 40 dernières années dans des pays comme la France, où elle est passée de 7 à 42 ans. Mais elle reste incroyablement basse, 15 ans à peine, dans des pays comme la Pologne ou la Bulgarie. Car la fibrose cystique, de son nom original, reste une maladie incurable, principalement caractérisée par des difficultés respiratoires et un dysfonctionnement du pancréas. Les affections pulmonaires représentent la principale cause de mortalité. «Mourir asphyxié, une fin terrible, d’autant plus ignoble du fait qu’elle touche des individus très jeunes», s’exclame Marc, microbiologiste. Ce doctorant de l’université de Heidelberg (DE) a participé au 1er colloque européen des jeunes chercheurs en mucoviscidose, organisé à la Faculté de Médecine de Lille, du 29 au 31 août 2007. L’événement résulte de la collaboration d’associations de patients issues de cinq pays de l’Union: Italie, France, Allemagne, Belgique et Pays-Bas. Des associations qui tiennent un rôle crucial en matière de récolte de financement pour la recherche et de sensibilisation du public. «Nous désirons mettre en valeur le travail des petites mains laborantines. Les 51 participants sont tous de brillants jeunes chercheurs, sélectionnés par un jury de scientifiques chevronnés», explique Franck Dufour, Directeur scientifique de Vaincre la mucoviscidose, l’association française initiatrice du colloque. «Une occasion pour ces jeunes recrues d’accroître leur connaissance du sujet en partageant leur expérience avec d’autres chercheurs. Un forum d’échange en somme, à l’issue duquel nous espérons initier de nouvelles collaborations paneuropéennes pour accélérer le travail de la recherche».
«Mettre en valeur le travail des petites mains laborantines»
En 1989, l’origine de la mucoviscidose a été identifiée sur le bras long du chromosome 7. La mutation d’un gène, le CFTR, cystic fibrosis transmembrance conductance regulator, induit un défaut de synthèse de la protéine éponyme essentielle à la formation des canaux ioniques chlorures (cf. infra) des cellules épithéliales qui tapissent l’intérieur des organes. Dans le cas de la muco, la protéine ne peut s’intégrer correctement au sein de la membrane cellulaire et remplir sa fonction de régulation des ions chlorures extracellulaires, essentielle à l’hydratation des sécrétions. Au niveau des poumons, cette défaillance se traduit par la production d’un mucus trop visqueux qui stagne dans les bronches, favorise la colonisation bactérienne et trouble la respiration. Pour le pancréas, organe essentiel à la production des enzymes digestives, le problème est le même : le manque de fluidité des sécrétions pancréatiques freine leur transfert vers l’appareil digestif et perturbe l’assimilation des nutriments.Première cause de mortalité parmi les patients atteints de mucoviscidose, les affections pulmonaires ont bien évidemment mobilisé une bonne partie des débats tenus à Lille. Celles causées par la bactérie Pseudomonas aeruginosa, qui affecte plus de 80% des malades, s’avèrent particulièrement inquiétantes du fait de la résistance de certaines souches aux antibiotiques. Résistance augmentée par sa capacité à développer, au sein du mucus, des colonies entourées d’une matrice protectrice nommée biofilm. Aurélie Crabbé, jeune étudiante en Sciences Biomédicales de la Vrije Universiteit van Brussel (BE), s’est attachée à évaluer dans quelle mesure la faible force de cisaillement vraisemblablement spécifique au mucus pulmonaire des muco, favorise l’agrégation par biofilm de Pseudomonas aeruginosa. «Afin d’étudier si ce facteur favorise la formation bactérienne de biofilms, j’ai utilisé une technologie à bioréacteurs tournants, qui permet de cultiver les bactéries dans un environnement faible en cisaillement. Les résultats montrent qu’une force de cisaillement réduite favorise la production d’un biofilm bactérien similaire à celui retrouvé dans le mucus des patients de la mucoviscidose», explique Aurélie. «Mon doctorat s’attache à compléter ce modèle en vue de pouvoir simuler les différents facteurs caractéristiques du mucus et de mieux comprendre les conditions propices au développement d’infections chroniques dues à cette redoutable bactérie».
Le but ultime: une thérapie curative
D’autres projets tentent de trouver des méthodes permettant de mieux hydrater le mucus pulmonaire afin de minimiser les risques d’infections. «CFTR n’intervient pas uniquement dans la formation des canaux chlorures mais agit aussi comme un inhibiteur d’ENaC, le canal épithélial responsable des échanges de sodium (Na+). Dans le cas d’une mucoviscidose, l’hyperactivité d’ENaC cause une absorption excessive d’ions sodium. C’est ce phénomène qui provoque la déshydratation des sécrétions, car la différence de concentration en solutés de part et d’autre de la membrane induit, par osmose, l’absorption d’eau», explique Diana Treis, doctorante en médecine à l’université de Heidelberg,dont le projet a obtenu le premier prix du colloque. «Notre technique consiste à contrer l’excès de sodium en inhibant l’activité du canal ENaC à l’aide d’amiloride. Une méthode qui, testée sur des souris adultes, s’est avérée inefficace, mais qui donne des résultats très prometteurs lorsque ces cobayes sont traités dès leur naissance». Des tests cliniques doivent désormais éprouver ces encourageantes conclusions.Quelques recherches peuvent se targuer d’avoir déjà franchi cette étape décisive du développement thérapeutique. En Europe, une petite molécule française s’apprête à passer la deuxième phase d’essais cliniques. Une grande première pour le Vieux Continent, car si plusieurs cures potentielles, tant géniques que protéiques(1), sont actuellement éprouvées sur l’homme aux États-Unis, aucune recherche en thérapie protéique n’est encore parvenue à ce stade de développement. Mise au point par l’Institut de physiologie et de biologie moléculaire du CNRS de Poitiers (FR), Miglustat s’avère particulièrement efficace pour corriger un type de mutation qui touche près de 70% des personnes atteintes de mucoviscidose(2). «Cette mutation, appelée delta F508, donne naissance à une protéine dont seul un acide aminé manque», explique Frédéric Becq, responsable de recherche. «Cette lacune se traduit par un défaut de transport de la protéine vers la membrane cellulaire. CFTR se retrouve ainsi totalement digérée au sein du cytoplasme. Au cours des tests in vitro et in vivo, Miglustat corrige cette anomalie de manière si probante que la molécule est maintenant programmée pour un essai clinique de phase II, dont les premiers résultats sont attendus en fin 2007». De quoi donner de l’espoir aux malades. Car même si la recherche de remèdes contre les symptômes améliore considérablement leur qualité de vie, les espoirs se mobilisent surtout vers l’éradication totale de l’origine de la mucoviscidose. «Parfois, les patients appréhendent mal la finalité de certaines recherches, notamment celles uniquement destinées à mieux cerner le fonctionnement de la mucoviscidose. Une étape toutefois indispensable pour la découverte d’un remède. Nous avançons certes à tout petits pas mais chacun d’eux nous rapproche plus d’une solution qui permettra enfin aux muco de se libérer totalement de la maladie», conclut Frédéric Becq.
Julie Van Rossom
- La thérapie génique consiste à insérer dans l’organisme du malade des copies saines du gène afin de corriger l’ADN du malade. La pharmacologie ou thérapie protéique développe des molécules capables de corriger ou de stimuler la protéine CFTR défaillante.
- Il existe plus de 1500 mutations différentes du gène CFTR.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire