In scientia veritas?
Publié dans research*eu, n°54, Décembre 2007 - Read the English versionFalsification de résultats, fabrication de données, plagiat, mauvaises pratiques de recherche… Face à une compétition accrue pour l’obtention de financements et à la nécessité de publier en vue d’être reconnus par leurs pairs, certains chercheurs dérapent. Cas isolés ou système corrupteur? La première conférence mondiale sur l’intégrité de la recherche a ouvert le débat sur ce tabou qui ronge la crédibilité scientifique et sape la quête de vérité des héritiers de Newton.
Pourquoi le professeur Hwang Woo-Suk, fierté dorénavant déchue de la Corée du Sud, a-t-il falsifié les résultats de ses travaux sur les cellules souches humaines? Qu’est ce qui pousse un doctorant à copier de bout en bout les travaux d’un de ses pairs? Peut-on affirmer que les rapports du GIEC(1), revus par les politiques avant d’être définitivement adoptés, sont scientifiquement fiables?
Du 16 au 19 septembre, gratin de la recherche et responsables de publications scientifiques se sont donné rendez-vous à Lisbonne pour ouvrir le débat sur la régulation de l’intégrité scientifique, un vrai tabou au sein du milieu de la recherche, tant la controverse renvoie à la remise en question de l’ensemble du système. Organisée par la Fondation européenne pour la science (ESF) et l’Organisation pour l’intégrité de la recherche américaine(ORI), la première Conférence mondiale sur l’intégrité de la recherche a tenté de compléter le rapport élaboré en février 2007 par un groupe de travail réuni par l’OCDE(2) à Tokyo autour de la même question. Le but: repérer les failles du système et déterminer les réponses à y apporter.
Confiance aveugle?
«Scientifiquement établi»… Indéniablement, un argument complété d’une caution scientifique jouit d’une plus grande crédibilité. La science évoque objectivité, rigueur et indépendance, et le chercheur donne l’image du philanthrope totalement désintéressé en quête de vérité fondamentale. L’innovation scientifique procède par doute, toute hypothèse étant éprouvée et critiquée par les pairs qui y apportent les améliorations nécessaires. Et le système scientifique semble d’autant plus fiable qu’il s’autorégule, s’affranchissant de ce fait de toute pression extérieure.Malgré ce fonctionnement unique, le scientifique, aussi intègre qu’il soit, reste humain et donc faillible. Le phénomène n’est bien sûr pas récent, et l’histoire de la science est ponctuée de cas de fraude: Mendel, par exemple, le père de la génétique moderne, est suspecté d’avoir écarté certains résultats contradictoires pour rendre ses conclusions plus probantes. Mais les évolutions technologiques, économiques et politiques actuelles ne permettent plus de considérer ce problème comme un phénomène marginal restreint à une poignée d’individus. Les domaines de recherche sont devenus si pointus que seuls quelques spécialistes sont à même d’évaluer la qualité d’une recherche, ce qui rend ardue la découverte de la fraude. Les avancées technologiques ont donné naissance à des programmes informatiques de calcul si complexes qu’il devient extrêmement difficile de mettre en évidence une manipulation des paramètres. Et la science évite de se discréditer auprès du public, car la société civile représente à la fois la principale source de financement et la première cible des applications des découvertes. Autant d’obstacles à la transparence vers laquelle le monde scientifique devrait tendre.
Un code de conduite international?
Paradoxalement, à l’heure où la compétition pour l’obtention de financement s’exacerbe, les collaborations internationales s’amplifient tant les projets de recherche touchent des sujets pointus, complexes et coûteux. Imaginons un scientifique suédois suspectant un collègue américain de malversations dans le cadre d’une recherche impliquant des instituts situés aux quatre coins de la planète et financée par plusieurs Etats. A qui s’adressera-t-il? Quel mécanisme de régulation appliquer? A l’heure actuelle, aucun système formel n’existe pour résoudre un tel cas de figure. L’idée d’adopter un code international de conduite a donc largement alimenté les débats de la conférence mondiale sur l’intégrité de la recherche.Mais les modalités d’un tel système créent la polémique. Car même si la majorité de la communauté scientifique s’accorde pour diviser la fraude en trois catégories distinctes, le plagiat, la falsification et la fabrication de résultats, on bute sur les définitions de ces déviances, variables d’un pays à l’autre, et sur les procédures à appliquer lors de leur découverte. Autre écueil, la légitimité de l’éventuelle institution responsable de veiller au respect d’un code de conduite scientifique international. «Les débats entrepris lors de cette conférence montrent bien l’hétérogénéité des systèmes selon les pays. Alors que l’approche américaine de l’ORI, compétente uniquement pour les recherches en sciences biomédicales publiquement financées, est formelle, standardisée et centralisée, celle du Royaume-Uni, par exemple, s’applique diversement selon le domaine scientifique et l’institution où la fraude est constatée. L’Allemagne, quant à elle, a mis en place un système intermédiaire, où l’état oblige chaque institut à définir son propre code de conduite sous peine d’être privé de financement public», explique Ian Halliday, Président de l’ESF. «La question est de savoir si le même code de conduite peut être appliqué de manière uniforme pour des cultures de recherche nationales fondamentalement différentes», poursuit-il.
L’incohérence européenne
En Europe, certaines communautés scientifiques paraissent réticentes à l’implantation d’un système uniforme, vu comme une ingérence dans le processus d’autocontrôle dont elles jouissent au niveau national. De même, la fragmentation des systèmes nationaux fait que les pressions exercées sur les chercheurs varient grandement d’un pays à l’autre, ce qui pose problème en terme d’application d’un code de conduite unique pour l’ensemble des chercheurs, indépendamment de leur discipline et de leur pays d’origine. Nos mécanismes de régulation de la fraude scientifique sont aussi hétérogènes que les systèmes nationaux de recherche. Un nouvel obstacle potentiel pour la réalisation de l’Espace européen de la recherche, qui repose largement sur une plus grande collaboration entre les Etats membres. Comme le souligne Ian Halliday : «Il serait plus que préférable de parvenir à une certaine uniformisation européenne. Nous espérons qu’à travers le partage des expériences respectives, la conférence initiera l’élaboration d’un code de conduite au niveau de l’Union. Pour ce faire, la Commission pourrait jouer un rôle crucial afin d’articuler les différents points de vue et d’encourager l’émergence d’un consensus.»Les travers du «peer review»
Mais détecter la fraude ne suffit pas. Il convient également de tout entreprendre pour la prévenir, en jaugeant efficacement la qualité des écrits scientifiques et en formant les futurs chercheurs à la déontologie propre à leur discipline. Les éditeurs et responsables de publications scientifiques soulignent en particulier les difficultés rencontrées lors de la validation d’un article. Avant d’être accepté pour publication, un compte-rendu scientifique est examiné par un comité de lecture composé de confrères experts du sujet. Ce système de révision par les pairs - peer review – soulève des questions de conflit d’intérêt, car les réviseurs pourraient mettre à profit leur influence soit pour empêcher la publication d’un article rédigé par un concurrent, soit pour favoriser l’approbation d’un papier soumis par un collègue. De même, les membres du comité de lecture ne sont ni formés, ni rémunérés, ce qui laisse planer un solide doute sur la qualité de la révision.Les lacunes de la formation
Si des formations en déontologie sont dispensées aux États-Unis, les systèmes européens et asiatiques n’intègrent quasi rien de similaire. «On attend des jeunes chercheurs d’être formés à l’intégrité scientifique par l’opération du Saint Esprit!», s’insurge Marie-Claude Roland. Il y a plus de 10 ans, cette linguiste a commencé à former des jeunes chercheurs à la communication au sein de l’INRA, l’Institut National de Recherche Agronomique (FR), avant de se rendre compte que le problème de transmission du savoir s’étendait bien au-delà de la rédaction des articles scientifiques. «à côté d’une approche top-down comme un code de conduite, il est tout aussi essentiel et urgent en matière d’intégrité d’engager une approche bottom-up, centrée sur les laboratoires, où l’on se penche sur le noyau dur de la formation de chercheur: la relation encadrant-doctorant. Il faut évaluer si l’encadrant est capable de transmettre au doctorant des bonnes pratiques de recherche et les valeurs essentielles de la démarche scientifique. Nous travaillons avec cette hypothèse depuis 1995, car nous constatons que la formation individuelle en déontologie du doctorant ne sert absolument à rien si, une fois de retour au labo, il subit une pression contradictoire de la part de son supérieur.»Une prévention efficace se résumerait-elle à une meilleure diffusion des règles déontologiques? Pas si sûr, selon une étude entreprise par Melissa S. Anderson, experte en intégrité scientifique de l’Université du Minnesota (états-Unis). Selon cette recherche basée les réponses de 3247 scientifiques, la formation déontologique semble avoir peu d’impact sur l’attitude des chercheurs. Toujours selon ce sondage, une telle formation dispensée par un mentor encouragerait même le recours à la fraude. Quant à la compétition entre scientifique, que ce soit pour les financements ou pour la gloire, elle est également perçue comme un facteur favorisant les pratiques douteuses de recherche. Logique: au sein d’un milieu où il y a tant d’appelés pour si peu d’élus, un encadrant n’hésitera pas, de toute bonne foi, à inciter ses protégés à persévérer, coûte que coûte.
Comment parvenir à trouver le juste équilibre entre compétition et collaboration? Quelle est la meilleure formation capable de limiter les déviances scientifiques? Comment adapter les codes d’intégrité nationaux à une recherche qui s’internationalise? Les questions de fond dégagées à Lisbonne traduisent bien la complexité de la problématique de l’intégrité scientifique. Cette première conférence aura eu un autre mérite: celui de montrer que, pour douloureuse qu’elle soit, la remise en question du monde de la recherche est non seulement indispensable, mais aussi urgente.
Julie Van Rossom
- Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat formé par les Nations Unies en vue de fournir un avis scientifique sur l’impact anthropique du réchauffement climatique – Voir research*eu, n°52, juin 2007.
- Organisation de Coopération et de Développement Economique.
L’affaire Hwang Woo-Suk
En février 2004, le professeur Hwang Woo-Suk crée l’événement en publiant un article dans le magazine Science où il affirme avoir, pour la toute première fois, extrait des cellules souches à partir d’un embryon humain cloné. L’éminent professeur en thériogénologie et en biomédecine de l’université de Séoul, en Corée du Sud, est dès lors projeté à l’avant de la scène scientifique internationale. Cette dernière retient son souffle dans l’attente des futurs résultats, qui pourraient représenter une avancée grandiose pour les thérapies contre le cancer ou la maladie d’Alzheimer. En mai 2005, Hwang persiste et signe: un nouveau papier publié par Science annonce la première acquisition de cellules souches à partir de cellules de peau humaine. En décembre 2005, suite à une série de critiques relatives à des questions éthiques, l’université de Séoul ouvre une enquête sur les recherches de Hwang. Le verdict tombe quelques mois plus tard: les résultats de 2004 et de 2005 sont basés sur des données frauduleuses. Séquelles de l’affaire: la frilosité des gouvernements à financer les recherches sur les cellules souches, domaine scientifique extrêmement sensible sur le plan éthique, s’est considérablement accrue.
Les meilleurs cobayes sont-ils pauvres?
L’intégrité scientifique ne se limite pas à la manipulation de résultats, en particulier au sein de la recherche biomédicale où les applications visent la santé du public. Lors de son intervention à la conférence mondiale sur l’intégrité de la recherche, Ayse Erzan, physicienne à l’université technique d’Istanbul, a souligné les risques liés à l’amplification de la sous-traitance des essais cliniques par les grandes firmes pharmaceutiques. Les essais sont une phase cruciale du développement thérapeutique et représentent un coût énorme pour l’industrie biomédicale. De plus en plus de compagnies délèguent donc les essais sur l’homme à des agences de développement de produits et d’études cliniques qui effectuent le travail dans des régions en voie de développement tels que l’Afrique, l’Amérique Latine, l’Asie ou encore l’Europe de l’Est. Les législations nationales ne s’accordent pas toujours avec les standards éthiques internationaux, ce qui ouvre une boîte de Pandore quant au libre consentement des individus ou encore à la fiabilité des résultats finaux.
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