Portrait: Stephen Wolfram

L’algorithme des dieux

Publié dans research*eu, n°63, Avril 2010 - Read the English version

Le monde fonctionne-t-il comme un programme informatique? Les formes et les états de la nature sont-ils générés à partir d’une formule fondamentale? Stephen Wolfram le soutient et affirme même avoir découvert le code à la source de la complexité de l’Univers.

Stephen Wolfram – 
«Expliquer une idée, la polir afin de la rendre  la plus claire 
possible, est une excellente méthode pour mieux la  comprendre.» © 
Stephen Faust/Wolfram Research.Inc.
Stephen Wolfram – «Expliquer une idée, la polir afin de la rendre la plus claire possible, est une excellente méthode pour mieux la comprendre.» © Stephen Faust/Wolfram Research.Inc.

Le jour, il est patron d’entreprise. À 50 ans, il est à la tête de Wolfram Research, société propriétaire du célèbre logiciel de calcul Mathematica et du tout nouveau moteur de recherche Wolfram Alpha. La nuit, il est chercheur. Un scientifique brillant, dont la réputation n’est plus à faire. Mathématicien, informaticien et physicien des particules, l’objet de prédilection de ses recherches sont les automates cellulaires, modèles mathématiques qui, selon Stephen Wolfram, permettent d’expliquer comment la complexité du monde se construit. Dans son livre «A new kind of science» publié en 2001, Wolfram remet en question les fondements de la science, tous domaines confondus. Arrogant mégalomane ou génie incompris?

Enfant prodigue

Stephen Wolfram naît à Londres en 1959. Très tôt, il manifeste une intelligence remarquable. À 13 ans, il décroche une bourse d’étude pour l’Eton College, prestigieuse école secondaire où se côtoie le fleuron des élites britanniques. Un an plus tard, Wolfram écrit un ouvrage sur la physique des particules. Son premier article scientifique paraît dans Nuclear Physics en 1975. Il n’est âgé alors que de 15 ans. «À l’époque, la physique était un des champs de recherche les plus novateurs. Beaucoup d’avancées étaient effectuées, en particulier dans le domaine de la physique des particules, ce qui a attisé mon intérêt», raconte-t-il(1).
Le jeune génie poursuit son cursus à l’université d’Oxford (UK), puis il déménage Outre-Atlantique pour travailler au sein de l’Institut de Technologie de Californie – Caltech (US) où il décroche, à 20 ans, un doctorat en physique théorique. Il s’y forge ses premières lettres de noblesse aussi. Durant cette période, il publie plus de 25 articles scientifiques. Il conçoit les variables de Fox-Wolfram et découvre la liaison supérieure Politzer-Wolfram sur la masse des quarks. En 1981, du haut de ses 22 ans, il devient le plus jeune récipiendaire du prix MacArthur, le «prix des génies», qui offre chaque année une bourse aux chercheurs les plus talentueux.
Wolfram quitte Caltech en 1982 pour rejoindre l’Institute for Advanced Study de Princeton (US), un établissement exclusivement consacré à la recherche scientifique. C’est ici qu’il commence à s’intéresser aux automates cellulaires. Son but? Comprendre la complexité du monde, question qu’aucune équation mathématique, aucune théorie physique n’est jamais parvenue à résoudre. «L’origine de la complexité de l’Univers est un sujet qui m’a passionné dès l’enfance. Cette question se posait non seulement lorsque je me penchais sur la cosmologie, mais aussi sur les neurosciences ou l’intelligence artificielle. Alors que je travaillais au développement de ce qui deviendra plus tard le logiciel Mathematica et mettais au point des opérations primitives sur base desquelles on pourrait construire toute une série d’opérations plus complexes, j’ai eu l’intuition qu’il existait un principe général similaire sur lequel reposait toute la complexité de la nature, de la structure des galaxies à celle des neurones. J’ai donc entrepris de tester des opérations très simples pouvant conduire à la formation de structures complexes, ce qui m’a amené à m’intéresser aux automates cellulaires.»
Reste à savoir ce qu’est un automate cellulaire. Prenez une série de cases blanches et noires. Ensuite, imaginez que l’on génère une nouvelle ligne selon une série de règles rudimentaires. Par exemple, une case blanche ne peut jamais se trouver en dessous d’une autre case blanche sauf si cette dernière forme une diagonale de dix cases blanches. La grille qui résulte de ce processus produit de manière aléatoire des structures pouvant être extrêmement complexes.

Homme d’affaires

Au cours des années ‘80, Wolfram découvre la règle 30, un automate cellulaire qui peut générer des formes similaires aux motifs d’un coquillage, le Conus textile. Il est dès lors convaincu d’avoir soulevé un coin du voile du code universel dont il suspectait l’existence.
Enthousiaste, il publie une série d’articles sur la question et y consacre une nouvelle discipline, la science des systèmes complexes. Il fonde le Centre de recherche sur les systèmes complexes au sein de l’université de l’Illinois (US), soutient la création d’un think tank au Santa Fe Institute (US) et crée la revue scientifique Complex Systems Journal. «En mettant en place ces différents éléments, j’espérais inciter d’autres chercheurs à faire progresser cette piste de recherche. Mais la mobilisation de la communauté scientifique était trop lente pour satisfaire ma curiosité.»
Frustré, Wolfram lâche le monde académique pour se consacrer entièrement à la programmation informatique. «L’objectif était de bâtir une infrastructure de recherche et un outil qui me permettraient de poursuivre moi-même mes travaux sur les systèmes complexes.» En 1987, Wolfram fonde la société Wolfram Research. Un an plus tard, il commercialise Mathematica, un logiciel capable d’exécuter un large éventail d’opérations mathématiques.
L’entreprise est un franc succès. Mathematica compte aujourd’hui plus de deux millions d’utilisateurs dans 90 pays, Wolfram Research brasse quelque 50 millions de dollars de chiffre d’affaires par an et emploie plus de 300 personnes. En troquant sa casquette de chercheur contre celle de chef d’entreprise, Stephen Wolfram devient ainsi millionnaire. Une situation qui, à l’origine, était plutôt mal perçue par le monde académique. «Il y a 20 ans, les logiciels utilisés au sein des laboratoires étaient gratuits. Exiger une rétribution financière pour une application utilisée à la pointe de la R&D, activité principalement conduite au sein des universités, était donc considéré comme une position profondément choquante. Aujourd’hui, les attitudes ont radicalement changé.»

Hacker du code universel?

Au cours des années ‘90, le monde de la recherche oublie Stephen Wolfram. Mais celuici ne délaisse pas pour autant la recherche. La nuit, il s’enferme dans son laboratoire pour poursuivre ses travaux sur les systèmes complexes. Armé d’un ordinateur, il teste inlassablement différents automates cellulaires afin de dégager ceux qui reproduisent au mieux les structures présentes dans la nature. Il trouve ainsi des automates cellulaires capables de générer la structure de la glace ou encore de certaines feuilles. Dix ans plus tard, il publie A new kind of science, un ouvrage où il expose ses résultats de recherches puis, chapitre par chapitre, démontre dans quelle mesure sa théorie remet en question les bases des différentes disciplines scientifiques.
Il choisit délibérément de ne pas passer par les voies traditionnelles qui veulent qu’une théorie soit publiée dans une revue scientifique. «Je voulais que mes recherches soient accessibles au plus grand nombre. Cette approche m’a également permis d’éprouver ma théorie. Expliquer une idée, la polir afin de la rendre la plus claire possible, est une excellente méthode pour mieux la comprendre.»
Après s’être appliqué au modèle informatique des mathématiques et du monde, Wolfram s’est attaqué à celui du savoir. En 2009, il lance Wolfram Alpha, un moteur de recherche capable de donner toutes les informations spécifiques à un sujet donné à partir d’une requête phrasée. «Pour moi, il a toujours été important de ne pas occulter les questions de recherche fondamentale soulevées au cours du développement d’une technologie, d’adopter une approche intégrée de la science, en somme. Wolfram Alpha est un projet qui me tient particulièrement à coeur justement car il reflète cette vision intégrée du savoir.»
Businessman et chercheur, une double casquette aussi fascinante que dérangeante. «En général, les gens qui possèdent des ressources financières soutiennent des recherches indirectement, à travers une fondation, par exemple. Le fait de financer des recherches fondamentales tout en y contribuant personnellement est encore quelque chose qui effraie certaines personnes… bien qu’elles ne sachent pas pourquoi!»

Julie Van Rossom

  1. Toutes les citations sont de Stephen Wolfram.
Images colorées basées sur la règle 30, tirées du best-seller de  Stephen Wolfram, «A New Kind of Science».Images colorées basées sur la règle 30, tirées du best-seller de  Stephen Wolfram, «A New Kind of Science».Images colorées basées sur la règle 30, tirées du best-seller de  Stephen Wolfram, «A New Kind of Science».Images colorées basées sur la règle 30, tirées du best-seller de  Stephen Wolfram, «A New Kind of Science».
Images colorées basées sur la règle 30, tirées du best-seller de Stephen Wolfram, «A New Kind of Science».

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