Pêche illégale

Remonter de l'assiette au filet

Publié dans research*eu, n°62, Février 2010 - Read the English version

Contrer la pêche illégale: un objectif déterminant pour gérer les océans de maniere durable. Mais le grand bleu est si vaste qu’il est tres difficile de confondre les fraudeurs. Des chercheurs développent actuellement de nouveaux outils destinés à retracer l’origine d’un poisson et déterminer s’il a été pêché légalement ou non.

 88 % des espèces pêchées en Europe ne peuvent se renouveler de  manière optimale car elles sont surexploitées.© Shutterstock88 % des espèces pêchées en Europe ne peuvent se renouveler de manière optimale car elles sont surexploitées.© Shutterstock

«La pêche en mer est libre, car il est impossible d’en épuiser les richesses », écrivait, en 1609, le juriste Hugo Grotius dans son livre Mare Liberum. Les choses ont bien changé. 28 % des espèces pêchées sont aujourd’hui surexploitées, épuisées ou en cours de relèvement, et 52 % des stocks ont atteint un stade d’exploitation maximale(1). En Europe, 88 % des espèces ne peuvent se renouveler de manière optimale car elles sont exploitées au-delà des limites de production maximale équilibrée. Pour 30% d’entre elles, il est peut-être déjà trop tard car elles se trouvent en dehors des limites biologiques de sécurité(2).
Restriction de la taille et du nombre de bateaux, de la durée des séjours en mer ou encore imposition de quotas de pêche par espèces… Les régulations qui affectent le secteur sont si nombreuses que certains choisissent de ne pas en tenir compte. Un problème de taille qui met en péril la gestion des stocks. Les experts s’y réfèrent sous les vocables pêche illicite, non-déclarée et non réglementée – INN (voir « Pêche illicite, non-déclarée et non réglementée: repères »).

Insaisissable pêche illégale?

«En Europe, la pêche illicite et non-déclarée s’est accélérée au milieu des années ‘90 suite à une réduction des quotas de pêche effectuée sans réelle concertation avec les pêcheurs, qui souvent perçoivent ces mesures de manière injuste», explique David Agnew, chercheur en biologie marine de l’Imperial College of London (UK), spécialiste des questions relatives à la pêche INN. «Depuis deux à trois ans, la situation s’est améliorée. De nouvelles mesures nationales ou européennes prenant mieux en compte les difficultés rencontrées par les pêcheurs ont été instaurées. Il y a également eu une réponse forte de la part des industries afin de limiter le commerce de prises frauduleuses.»
Mais la pêche illégale perdure. Selon une étude récente dirigée par David Agnew, entre 11 et 26 millions de tonnes de poissons sont prélevées chaque année de manière illicite et non-déclarée dans le monde, l’équivalent de 12 % à 31 % du volume total des prises marines mondiales(3). Pour parvenir à ces chiffres, David Agnew et son équipe n’ont eu d’autre moyen que d’éplucher des rapports et des études de cas existants au niveau national. «Tout le problème est là», explique le chercheur. «Ces documents sont conçus à partir d’une grande variété de techniques. Il n’y a pas de méthodologie standardisée, ce qui rend toute évaluation générale approximative.»
Pour Gary Carvalho, professeur d’écologie moléculaire à la Bangor University (UK), contrer la pêche illégale est une question de moyens. «La pêche INN se poursuit surtout parce qu’il n’existe pas de technique pour déterminer l’origine des poissons. Si un navire est repéré dans une zone interdite à la pêche, les contrôleurs ne disposent d’aucun outil pour prouver que les prises remontées à bord proviennent effectivement de ce lieu.»

Génétique antifraude

Depuis février 2008, Gary Carvalho coordonne FishPopTrace, un projet européen qui vise précisément à mettre au point un ensemble d’outils capables de traquer l’origine géographique d’une prise et donc de déterminer si le poisson a été pêché ou non de manière illégale. «L’objectif principal est de concevoir un protocole d’analyse aisément utilisable par les contrôleurs et dont la précision est suffisante pour que les résultats soient utilisés comme preuves au cours des procédures judiciaires entamées à l’encontre des responsables de la pêche INN», explique-t-il. «Notre recherche se concentre sur quatre des espèces européennes les plus pêchées: le cabillaud, le colin, le hareng et la sole. Mais la technique pourrait être utilisée pour l’ensemble des stocks européens.»
Le protocole développé par les chercheurs de FishPopTrace se déroule en trois temps. La première étape consiste à déterminer l’espèce à laquelle appartient le tissu analysé. Ici, les chercheurs se concentrent sur de quasi «codesbarres » génétiques. Le principe est d’examiner un marqueur génétique que l’on compare avec les informations rassemblées dans une base de données. Il est alors possible de déterminer l’espèce à laquelle appartient l’échantillon examiné (voir « Codes-barres génétiques »).
Une fois l’espèce connue, reste à localiser l’origine du spécimen. Les chercheurs se concentrent pour ce faire sur les single nucleotide polymorphisms (SNPs), variations infimes des bases azotées de l’ADN. Ces mutations sont propres à chaque individu, et ce même au sein d’une même espèce.
«Nous espérons déterminer 1 200 SNPs pour chaque espèce étudiée par FishPopTrace», explique Gary Carvalho. «Ces SNPs représentent autant de caractéristiques propres aux populations d’une zone. En constituant des bases de données, on parviendra à établir un ensemble de signatures collectives et à retracer l’origine des produits testés.»

Entre contrôle et écoute

La dernière technique d’analyse développée par FishPopTrace permet d’affiner les résultats précédents. Cette fois-ci, la méthode ne se fonde pas sur l’ADN mais sur les otolithes, les os de l’oreille interne des poissons. «À l’instar des cernes des arbres, la forme et la composition biochimique des otolithes varient selon le milieu environnant du spécimen. L’analyse des otolithes permet non seulement de définir l’âge du poisson, mais aussi la composition de l’eau de mer dans laquelle il a évolué», explique Gary Carvalho.
On peut ainsi parfaire la localisation géographique établie à l’aide des SNPs tout en déterminant si le poisson a été pêché prématurément, car il existe aussi des réglementations qui visent à garantir le renouvellement des populations en interdisant la capture de poissons trop petits.
Lancé en 2008, le projet FishPopTrace n’en est qu’à ses prémices, mais Gary Carvalho est confiant. «Nous avons déjà identifié de nombreux SNPs pour chacune des espèces étudiées. Reste à déterminer lesquels sont les plus pertinents pour localiser le milieu d’origine des poissons. Nous avons aussi lancé une vaste campagne d’échantillonnage pour créer la base de données avec laquelle les résultats des différentes analyses seront comparés. Cette étape dure longtemps, mais nous sommes déjà en bonne voie et la fin du projet n’est prévue que pour février 2011.»
Sans aucun doute, les recherches de ce type pourraient paver la voie vers un contrôle plus efficace des fraudes en matière de pêche. «Toutefois, l’élaboration de nouveaux outils de dissuasion ne doit pas occulter la nécessité d’impliquer au maximum les pêcheurs dans tout processus de décision relatif à la gestion durable des stocks», souligne David Agnew.

Julie Van Rossom

  1. «The state of world fisheries and aquaculture 2008», FAO, Rome, 2009 – www.fao.org/fishery
  2. Livre vert: «Réforme de la politique commune de la pêche», Commission européenne, 2009 – ec.europa.eu/fisheries/reform/consultation_en.htm
  3. David J. Agnew & Co, «Estimating the Worldwide Extent of Illegal Fishing», 2009 – www.plosone.org. NB: Cette étude ne prend pas en compte la pêche non-réglementée, dont l’ampleur est, selon l’auteur, extrêmement importante.

Codes-barres génétiques

Pour déterminer l’espèce dont est originaire un tissu, les chercheurs se penchent non pas sur l’ADN nucléaire, mais sur le génome des mitochondries. Ces structures intracellulaires (organites) sont abondantes dans les cellules et leur ADN est plus facile à isoler, même si le tissu est cuit ou transformé par un procédé industriel. Et comme une partie de la séquence de leurs gènes présente une structure spécifique à chaque espèce, on peut utiliser cette séquence comme une sorte de code-barres d’identification.
«C’est une arme redoutable pour la protection des consommateurs», explique Gary Carvalho, professeur d’écologie moléculaire à la Bangor University (UK). «Il y a quelques années, une analyse de codes-barres génétiques sur du vivaneau en conserve a permis de démontrer que 77 % de ce produit contenait en fait… un autre type de poisson!»

Pêche illicite, non-déclarée et non réglementée: repères

Pêche illicite: s’applique aux navires qui enfreignent la réglementation, en pêchant par exemple dans des zones interdites.
Pêche non-déclarée: concerne les bateaux qui ne déclarent pas aux autorités compétentes l’ensemble ou une partie de leurs prises.
Pêche non réglementée: se produit dans les zones de haute mer ne tombant sous la juridiction d’aucune autorité régionale de régulation de la pêche

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