Repenser la recherche
agronomique
Publié dans research*eu, Édition spéciale recherche européenne, Novembre 2009 - Read the English version
L’agriculture européenne émet trop de gaz à effet de serre, consomme trop d’énergie fossile et exploite les ressources naturelles plus vite qu’elles ne se renouvellent. Les modes de production intensifs fondés sur la pétrochimie et la mécanisation révèlent aujourd’hui leurs limites. Reste à réformer le système. Un temps délaissée, la recherche agricole européenne revient sur le devant de la scène.
Adapter les modes de production aux nouvelles conditions climatiques constitue le principal enjeu de la recherche agricole européenne. Mais il n’est pas le seul. Le réchauffement global s’accompagne en effet d’une pénurie énergétique. L’agriculture intensive, modèle sur lequel s’est construite l’agriculture européenne, repose sur un haut niveau de mécanisation et le recours à des intrants chimiques fabriqués à partir d’énergies fossiles. «Cette dépendance concerne non seulement la production mais aussi la transformation, la conservation, le conditionnement ou encore le transport des aliments», précise Gianluca Brunori, agronome de l’université de Pise (IT) qui a présidé le groupe d’experts responsable du dernier rapport de prospective du SCAR.
Pour couronner le tout, l’agriculture épuise les écosystèmes. L’utilisation d’intrants chimiques induit de nombreux problèmes de pollution de l’eau et d’appauvrissement des sols. Dans le sud de l’Europe, où les cultures dépendent large ment de l’irrigation, l’eau souterraine est pompée plus vite qu’elle ne se renouvelle. Partout, la spécialisation des exploitations provoque une diminution de la biodiversité.
Un nouveau système de recherche
Réchauffement climatique, crise énergétique et épuisement des ressources naturelles. Que faire face à ces défis aux multiples facettes? «Pour s’adapter au réchauffement climatique tout en le combattant, nous devons passer d’une agriculture reposant sur le pétrole à une agriculture fondée sur les ressources de l’écosystème », estime Gianluca Brunori. Tantôt nommée agro-écologie, éco-agriculture, agriculture écologiquement intensive ou encore agriculture de conservation, cette approche consiste à tirer profit des propriétés naturelles de l’environnement. La lutte biologique intégrée, par exemple, vise à combattre les insectes ravageurs en favorisant l’émergence de prédateurs naturels. Les techniques de conservation des sols, quant à elles, s’appuient sur les processus biologiques naturels pour accroître la fertilité des terres.Pour développer ces méthodes, un effort de recherche considérable doit être produit dans la compréhension des multiples interactions qui régissent les écosystèmes. Le hic, c’est qu’au cours des dernières décennies, les États membres ont considérablement réduit les budgets alloués à la recherche agronomique. Du coup, même si l’Europe dispose d’excellentes capacités de recherche, celles-ci se trouvent généralement entre les mains de l’industrie. «La recherche publique européenne a abandonné des pans entiers de la connaissance, notamment en ce qui concerne l’écologie des sols ou la manière dont insectes, parasites et plantes interagissent», explique Michel Griffon. «L’idée qui a conduit à cet état de fait était que l’agriculture n’était plus un domaine d’innovation important pour le futur. Les avancées de l’industrie en matière de biotechnologies étaient jugées suffisantes pour répondre aux problèmes du secteur agricole.»
Pour Gianluca Brunori, la recherche publique européenne en agronomie doit être complètement repensée en vue de répondre aux défis de demain. «L’Europe est en manque de conseils scientifiques désintéressés. Il faut absolument que les États membres réinvestissent dans l’agriculture afin d’élaborer les stratégies futures. En ce moment, le système de R&D se concentre sur le court terme, sans remettre en question le modèle de l’agriculture intensive qui est à l’origine de la plupart des problèmes. Pour sortir de cette situation, les politiques liées à la recherche, à l’éducation et aux conseils techniques offerts aux agriculteurs doivent mieux faire la différence entre intérêts publics et privés. Il faut également exploiter le savoir-faire des fermiers au cours des recherches, car ils appréhendent mieux que personne les spécificités du terrain.»
Favoriser l’implication du local
Au niveau des projets financés par l’Union européenne, la nécessité d’investir dans la compréhension des agro-écosystèmes semble avoir été prise en compte. «Notre stratégie globale est d’explorer un maximum de technologies différentes afin de permettre à chaque branche de la science d’apporter une contribution à l’établissement d’un nouveau système agricole», souligne Hans-Jörg Lutzeyer, administrateur scientifique au sein de l’unité Agriculture, sylviculture, pêcheries et aquaculture de la Direction générale de la recherche de la Commission. «La plus grande part du budget du 7ème programme-cadre accordé aux recherches sur l’agriculture se concentre sur la mise au point de nouveaux systèmes de production, moins énergivores et mieux intégrés à l’écosystème. Le reste est consacré à la qualité des aliments et aux biotechnologies (1).» Michel Griffon approuve les nouvelles orientations de l’Union en matière de recherche agricole, mais il estime que des améliorations doivent encore être faites. «Tout va très vite. Ce qui paraissait suffisant il y a deux ans manque finalement d’ambition à l’heure actuelle.»Outre la recherche scientifique, l’Europe doit encore agir au niveau politique. «Les grandes directives environnementales européennes, comme celles sur la biodiversité, l’eau et les sols devraient être repensées pour laisser plus de liberté aux États membres et aux régions de définir, en concertation avec les fermiers, le meilleur système pour leurs exploitations agricoles et leur environnement», estime Michel Griffon.
La Politique agricole commune (PAC), moteur de la généralisation de l’agriculture intensive en Europe, doit également être réformée pour répondre aux nouveaux enjeux. À l’origine, les subsides de la PAC étaient calculés en fonction de la production. Ceci a favorisé l’émergence des grandes exploitations que nous connaissons aujourd’hui tout en généralisant la mécanisation du secteur et le recours aux intrants chimiques. Depuis, la PAC a évolué. Il existe désormais deux piliers: le premier se consacre toujours au soutien des marchés et des prix agricoles tandis que le deuxième concerne le développement rural.
«Alors que le premier pilier est géré au niveau européen, le deuxième laisse beaucoup plus d’autonomie aux États membres. Ils peuvent ainsi soutenir et cofinancer les secteurs agricoles qu’ils estiment socialement ou écologiquement importants», explique Hans-Jörg Lutzeyer. Ce deuxième pilier permet notamment aux agriculteurs d’obtenir des subventions liées aux services environnementaux qu’ils peuvent rendre. Ces services n’ont aucune valeur sur le marché de l’agro-alimentaire, et il convient donc de les subsidier si l’on désire implanter un mode de production écologiquement viable.
La part majeure du budget de la PAC se concentre encore sur le premier pilier, mais une réforme est prévue pour 2013. Reste à espérer que les dirigeants européens optent pour un meilleur équilibre entre compétitivité économique et durabilité environnementale. «Un transfert de fonds du premier au second pilier serait très opportun», affirme Gianluca Brunori. «Il permettrait d’offrir des subsides qui encouragent des pratiques et des services agricoles bien définis. Cependant, pour réaliser cela, nous devons posséder des systèmes de connaissances solides ainsi que des capacités de formation disponibles au niveau local.»
Julie Van Rossom
- Agriculture durable: 71,5 millions € – Qualité des aliments: 59,95 millions € – Biotechnologies: 59,95 millions €.
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